Y’a rien qui te fait plus réaliser l’impossibilité de vivre de la gratuité que d’avoir une ado.
C’était donc simple quand elle était petite ! Besoin de vêtements ? On pige dans un des trois cent cinquante sacs que mamie pis matante nous ont donnés ! Besoin de lui faire plaisir ? On part à l’aventure au Dollarama ! Besoin de passer les restants douteux ? On gosse un p’tit bonhomme à la plage avec le ragoût pis les patates pilées pleines de mottons !
J’peux même pas oser imaginer lui faire un de ces p’tits tours de passe-passe depuis qu’elle est ado. Des vêtements déjà portés ? Euh, non. Elle n’aime même pas ceux qu’elle a elle-même portés plus que dix fois ! Dollarama ? : « Le Dollo c’est cringe. » Des restants pour souper ? (On n’aurait pas de restants si elle soupait avec nous des fois !) : « Moi pis mes amies on a prévu aller manger des burritos bio au resto du centre d’achat. Avoue qu’tu me donnes de l’argent ! ». Apparemment, il existe une loi non écrite qui m’oblige à lui donner de l’argent sur commande parce que « TOOOOOOUUUUTES les mères de mes amies leur donnent TOOOOUUUJOURS de l’argent ». Faudrait VRAIMENT que j’aille faire un tour sur le site du ministère d’la Justice pour vérifier ça, c’te p’tite loi-là.
Et il y a le sapristi secondaire. Quand ma fille était petite, je pensais que mon inquiétude principale face au secondaire serait la drogue. Je me trompais magistralement. C’est à la cinquième année du primaire, alors qu’on « magasine les écoles », qu’on apprend que la vraie menace liée à l’école secondaire, c’est… l’école secondaire. J’ignore si c’est pareil dans tous les quartiers montréalais, mais dans le mien, il y a une, peut-être deux écoles secondaires publiques pour AU MOINS une dizaine de privées.
Pour nous, ça a toujours été clair que nos cocos iraient au public. Notre école de quartier a tout ce qu’il faut pour passer cinq belles années à s’épanouir, se trouver et faire une couple de niaiseries dignes du dossier : « Eille, les jeunes, savez-vous c’que moé pis mes chums on a fait au secondaire ? »
Nos amis sont allés à cette école et je vous garantis qu’on s’tient pas avec des nonos.
OK ; oui, on s’tient avec des nonos, mais ils ont tous une super de bonne job et ils ne se fouillent pas dans le nez en public.
OK ; oui, ils se fouillent dans le nez en public, mais c’est pas parce qu’ils ne sont pas éduqués. C’est parce qu’ils sont vieux.
Un jour, durant sa cinquième année, ma fille m’a annoncé qu’elle voulait aller à l’école privée. C’est là que j’ai entendu son tout premier « TOOOOOUUUUUUTES mes amies… » Toutes ses amies seraient inscrites au privé. Elle serait la seule à aller au public. S’en sont suivies les premières bribes empreintes de dégoût que j’entendrais par rapport au public. Du « Y’a juste ceux qui ont une feuille de route qui vont là » au « La mère de mon amie a dit qu’il y avait des fusils dans les écoles publiques », notre réalité toute simple commençait à se compliquer.
On tient encore notre bout. On ne va pas payer dix mille piastres par tête, par année pour envoyer nos cocos au privé alors que l’éducation est toute aussi bonne au public.
Les parents d’aujourd’hui sont plongés au cœur d’une bataille financière sans précédent contre les influenceurs nantis, les Temu, Shein, Sephora et toutes les autres maudites affaires qui donnent mal à la tête et au portefeuille. Une bataille que ni eux ni leurs enfants n’ont initiée.
Même si on ne peut que blâmer la société de consommation dans laquelle elle grandit, y’a rien qui te fait plus réaliser l’impossibilité de vivre de la gratuité que d’avoir une ado.
Vous venez de lire un article de l’édition du 1er juin 2025.