Depuis 2017, L’Itinéraire dédie sa revue du 15 juin aux réalités autochtones. Une édition d’une grande richesse qui ne s’écrit cependant pas sans un léger stress ; tout d’abord parce que, rédiger sur une réalité aux antipodes de la sienne, c’est jouer une partie de ping-pong entre le syndrome de l’imposteur (et plus encore lorsque l’on est allochtone, blanc, néo-québécois) et le rôle de journaliste. Un jeu encore plus prégnant lorsqu’il s’agit de rapporter les réalités des Premières Nations, des Inuit et des Métis. Nous cherchons tous à être des alliés pour la réconciliation, et de préférence, exemplaires.

Parmi les défis qu’a comptés l’écriture de ses 48 pages, il y a celui de la langue : doit-on écrire « un Inuk, deux Inuuk et des Inuit », comme le veulent la graphie et les règles grammaticales de l’inuktitut, ou faut-il, en tant que média francophone, écrire « Inuit et Inuits », dans le respect des règles du français moderne. Dans notre salle de rédaction composée de seulement trois journalistes, les deux formes se retrouvaient. [À noter que l’Office québécois de la langue française (l’OQLF) accepte les deux.]

Contrairement aux apparences, la réponse à cette question n’est pas si évidente. Car plus qu’un simple point lexical, choisir une graphie reflète une posture. Opter pour la forme autochtone est un choix guidé par la volonté de réconciliation et celle de respecter «  le désir des communautés et des nations dans leur façon de se nommer elles-mêmes », comme l’évoquait en entrevue pour Radio-Canada en 2021, l’ethnologue Isabelle Picard. Que cette forme de respect prévale sur les règles du français a rapidement fait sens au sein de l’équipe de rédaction.

Plusieurs autres arguments qui se retrouvent dans l’excellent article spécialisé* de la lexicographe et professeure agrégée de l’Université de Sherbrooke, Nadine Vincent, ont orienté notre choix. Entre autres, celui que les graphies autochtones et francisées cohabitent, avec une prédominance de la graphie autochtone ces 10 dernières années.

L’usage crée la forme. Une réflexion que L’Itinéraire avait déjà soulevée dans son dossier sur l’écriture inclusive : Une langue en pleine révolution, en avril 2021.

Quelques recherches se sont imposées pour décider. L’Itinéraire a consulté les sites de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL), de la banque linguistique de l’OQLF, de Tourisme Autochtone Québec, et est allé fouiller avec attention les publications de chacune des Premières Nations du Québec, et des Inuit.

Certains acteurs sont importants dans l’établissement de la norme du français au Québec : L’OQLF, les dictionnaires, mais aussi les médias et, ici, les Autochtones eux-mêmes. Donc, si vous lisez « des Inuit » dans les prochaines pages, ne vous étonnez pas de l’absence d’un « s ». Vous en déduirez qu’il n’y a pas d’erreur ici, mais plutôt la représentation d’un choix conscient au regard de notre responsabilité en matière de réconciliation.

Bonne Journée nationale des peuples autochtones, le 21 juin.

* Traitement lexicographique d’emplois polémiques : les trois stades d’intégration des endonymes autochtones en français du Québec, Nadine Vincent, Presses universitaires de Paris Nanterre, 2023.