Un jour, alors que je travaillais dans l’émondage avec mon neveu, nous sommes allés chez une cliente pour abattre un chêne dans sa cour arrière. À la fin du boulot, je ramassais quelques branches, après avoir déshabillé l’arbre, et mon neveu se préparait à couper le tronc. Il n’avait pas vu que j’étais devant. L’arbre est tombé sur moi. Il croyait que j’étais mort. J’ai passé trois mois en béquilles.
Peu de temps après, j’ai recommencé à travailler. Mon neveu me disait souvent : « Mononcle, tu crochis de plus en plus. » Je suis retourné à l’hôpital peu de temps après. Résultat : une hernie discale à la colonne. Ce n’est pas opérable et je devrais apprendre à vivre avec, qu’on me disait. Les années ont passé. J’étais rendu au point où j’allais travailler avec ma canne. La douleur était si intense que j’ai dû abandonner la job. Je suis devenu cassé, accumulateur professionnel de dettes. Ça n’a pas pris de temps, je me suis retrouvé dans la rue. Je me promenais en autobus jour et nuit pendant trois jours. Je ne savais pas, à ce moment-là, ce qu’était un refuge. J’ai appelé ma sœur et lui ai demandé quelques conseils. Elle m’a parlé des refuges d’hébergement d’urgence. Mon itinérance venait de commencer pour vrai.
Entrepreneur de rue
Je me suis lié d’amitié avec un itinérant qui m’a montré comment me débrouiller dans la rue en ramassant des canettes. En quelques heures, on pouvait ramasser une dizaine de dollars. Il en avait assez pour ses bières. Moi, j’en voulais plus. J’ai toujours eu la bosse des affaires. J’ai répété ce travail jour après jour. Je devais pouvoir faire 40 $ quotidiennement. Ça me permettait de subvenir à mes besoins, un peu. J’allais, à l’occasion, voir les gens que je connaissais au salon de paris de courses de chevaux. Ça me permettait de garder un contact social avec une gang.
Finalement, un médecin s’occupant des itinérants à la Maison du Père m’a trouvé un chirurgien capable de m’opérer. Après deux chirurgies, je retrouvai ma posture d’avant.
J’ai décidé de me sortir de la rue et de me trouver un logement. Mais ramasser des canettes l’hiver, c’était pas évident. Un ami de la rue m’a suggéré de vendre L’Itinéraire. L’idée ne m’avait pas emballé. Vendre un journal 2 $ (à l’époque), c’était loin d’être la gloire. C’était gênant. J’avais toujours peur de rencontrer quelqu’un qui m’avait connu avant. Après quelques mois, j’ai réussi à me faire une clientèle. Je venais de réaliser qu’à 55 ans, je travaillais de nouveau. J’avais un contact social avec les gens, ce qui m’a aidé à regagner une certaine estime de moi.
J’ai toujours eu la bosse des affaires, je vous disais.
Vous venez de lire un article de l’édition du 15 mai 2025.