« J’étais ému, j’avais la frousse, j’étais installé dans mon lit et je trouvais ça surréaliste. » C’est ainsi que s’est senti Stéphane Rousseau la première fois qu’il a tenu entre ses mains son livre autobiographique : Famille royale. Rencontré dans un bâtiment du centre-ville qui héberge KO Éditions, l’auteur, humoriste et artiste multidisciplinaire, discute de son écriture et partage sans filtre sa vulnérabilité, autour de sa carrière, de son autobiographie et de ce qui remplit sa vie.

« J’aime me réinventer et vivre des premières », lance Stéphane Rousseau. C’est réussi! Avec Famille royale, l’humoriste touche à une matière qu’il n’avait jamais caressée avant: l’écriture d’un livre. À 56 ans, c’est par l’autobiographie que le désormais auteur commence. « Ce n’était pas l’inconnu parce que j’ai quand même écrit six spectacles de scène. Mais là, c’était plus complexe qu’une quarantaine de pages à rédiger. » Et pour celui qui se dit loin d’être un grand littéraire, il y avait quelque chose de vertigineux à apprivoiser de cet exercice.

Du stand-up à lire

Le projet maturait depuis longtemps dans l’esprit de l’humoriste. Plus encore, c’était imprimé sur sa «bucket list».

« Tout a commencé en racontant des bouts d’histoires à des amis qui étaient flabbergastés tellement ça semblait fou. Alors je me suis dit, pourquoi ne pas les partager ».

Et sans trop savoir par où commencer, c’est à la manière d’un faiseur de rires qu’il décide de tourner son autobiographie. Une sorte de stand-up à lire; une série de bribes de vie plus cocasses les unes que les autres dont on ne sait jamais s’il faut s’en esclaffer (bien qu’il soit difficile de s’en empêcher) ou s’il faut plaindre ce petit garçon qu’il était, héros et victime de cette histoire. À travers le choix des mots, le rythme et une syntaxe imparfaite, l’auteur voulait «surprendre». C’est chose faite. De toute façon, « Je ne savais pas comment écrire autrement », ajoute-t-il.

Le 20 %

Lorsque Stéphane Rousseau a envoyé, fébrile, son manuscrit à son éditrice, il a dû ravaler sa déception: « Elle m’a dit: “OK Stéphane, c’est léger, c’est l’fun” et… elle a raccroché. » L’auteur s’attendait à bien plus. Il faut dire que de prime abord, c’est l’effet que suggère 80% du récit : léger, anecdotique, sans trop d’implication émotionnelle, presque écrit comme si l’on regardait de loin le périple parfois tragique d’un «petit cul».

Puis, il y a le 20% restant: « Mon éditrice m’a rappelé le lendemain, raconte l’auteur, et m’a dit: “Stéphane, je n’avais pas terminé de lire. Là, j’ai pogné de quoi, tu t’ouvres vraiment”. »

Ce fameux 20%, c’est l’histoire de son fils, de sa relation père-fils, d’une naissance plus que douloureuse, houleuse et pleine d’incertitudes que le couple de jeunes parents a vécue de plein fouet sans y être préparé. C’est à ce moment-là du récit, que l’auteur change de ton et s’implique franchement. « Je ne me suis pas aperçu de ça pendant que j’écrivais. Et quand mon éditrice m’a partagé ses impressions, j’ai compris comment raconter une histoire. J’aurais pu décider de tout reprendre du début, mais je trou – vais qu’il y avait une sorte d’évolution naturelle dans tout ça. »

Comme il le dit, s’il décidait de s’épanouir à travers une deuxième sortie littéraire, ce serait peut-être sur un ton plus lyrique et vulnérable, dans lequel il laisserait ruisseler ses émotions. Une évolution autodidacte, à l’image de sa carrière.

Complexé plus qu’imposteur

Dans aucune de ses disciplines, Stéphane Rousseau ne s’est formé par l’école. Il est un pur produit de ses essais-erreurs. Et il n’a jamais hésité à essayer de nouvelles choses, quitte à débouler des pentes quelques fois abruptes. «J’ai passé mon temps à m’enfarger et à tomber. Je boitais parfois et d’autres fois j’étais bien amoché. Mais c’est le fun de se voir remonter la pente. »

C’est ainsi qu’il s’est construit, qu’il a gagné en «confiance» et en «profondeur», même dans ce qu’il connaît depuis sa plus tendre enfance, la scène et l’hu – mour. «Au début, j’allais chercher le rire des gens avec le rythme, la musicalité des mots, mais dans le fond, il n’y avait pas grand-chose d’autre.» Pour autant, il ne s’est jamais senti imposteur — même à côté de ses pairs diplômés — mais plutôt complexé.

« Vraiment complexé », confirme-t-il. Celui qui se « peaufine avec le temps » a toujours été « gêné et timide ». Ce qui ne l’a pas empêché de briller dans des bars du Québec, auprès de Mario Pérusse, aux cafés-théâtres belges, en passant par les mythiques scènes que sont le Bataclan et l’Olympia en France.

Prendre son trou

C’est d’ailleurs de son expérience de l’Hexagone dans les années 2000 qu’il retient le plus de situations gênantes et ardues à surmonter. Des complexes qui ne sont pas sans rappeler ceux d’une époque où se sentir diminué face au «français de France» était inscrit dans l’ADN culturel québécois. Au point de se faire tout petit parfois.

« En France, je parlais avec le concierge de l’immeuble et je le trouvais plus cultivé que moi. C’était confrontant, ce qui fait que tu te caches. On me disait de dire que l’anglais était ma première langue pour excuser mes fautes de français, intolérables semblait-il. À la radio, pareil; mon patron me disait: “ne parles jamais avec ta voix, ne fais que des personnages”. Alors à force, tu prends ton trou. »

Heureusement, Stéphane Rousseau a toujours son double avec lui, son «petit gamin intérieur», comme il l’appelle, paré à prendre la place du Stéphane adulte. « Il est très près de moi, au fond de ma pupille et m’accompagne. Il s’est souvent présenté à ma place dans des moments de stress. C’est probablement lui qui a écrit les trois quarts du livre d’ailleurs, et moi, la fin. »

Des armes à tout épreuve

Pour l’auteur, l’humour est son gagne-pain et certainement l’une de ses meilleures armes. Une arme contre le stress, la gêne, l’intensité des émotions, dont Stéphane Rousseau a usé à bien des moments, en France notamment, pour se fondre auprès des Nicolas Bedos de ce monde et autres gros bonnets du milieu de l’humour. « Je savais que je n’étais pas de taille à rivaliser avec ces gars-là, mais une bonne blague bien placée au bon moment, ça t’ouvre des portes. »

C’est aussi ce qui ressort de son entrevue à l’émission Tout le monde en parle du 16 octobre dernier, lorsque questionné sur le manque d’articulation de son personnage dans la série Stat dans laquelle il joue un préposé aux bénéficiaires, l’humoriste a répliqué du tac au tac: « On a réglé ça! On va me sous-titrer l’année prochaine ». Fin du malaise.

Stéphane Rousseau n’a par ailleurs pas que l’humour comme moyen de s’extraire des maux du quotidien. Dans son autobiographie, on peut le lire: dessiner est «une échappatoire», une manière de «fuir le monde».

Évacuer la vraie vie

Sur la page web de l’humoriste sont numérisées des toiles et œuvres visuelles imprégnées de surréalisme. Dans des tonalités de gris parfois bleuté, de noir et d’ocre, l’artiste s’évade. C’est par sa main qu’il se laisse guider dans des représentations détaillées aux subtilités parfois répétées: « Il y a souvent des images qui reviennent, constate-t-il à chaque fois. Un petit portrait de ma sœur, difficilement décelable. Toujours un peu de sexe, de maladie… Il y a forcément une raison à ça. Ça doit me libérer de ce qui me trotte tout le temps en tête. »

Étant donné les épicentres de Famille royale : le cancer de sa mère, puis de son père, celui de sa sœur, et les rocambolesques «frasques» sexuelles vécues et vues au camp de nudiste où l’auteur à passé une bonne partie de son enfance, rien d’étonnant à voir ces thèmes hanter ses créations.

Mais pendant qu’il s’épanche sur papier ou sur son iPad, il est dans une bulle. « C’est une libération totale, lance-t-il. Je ne dirais pas que ça me permet d’arrêter de souffrir, mais de faire abstraction de la vraie vie, oui. » Une sorte de soupape, qualifie-t-il, qui l’a aidé à traverser les périodes difficiles de sa vie

 

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