Cette édition marque le retour des travailleurs à leur poste, des élèves en classe – et des embouteillages.

Pour le Groupe L’Itinéraire, c’est aussi le moment de souligner nos accomplissements ; les camelots, les participant.e.s, les employé.e.s… Toustes travaillent assez fort pour mériter une petite tape dans le dos de temps à autre.

Les pages qui suivent respirent donc la solidarité, l’empathie, le respect ; un Denis qui dore la réputation des « bummeux », comme il les appelle affectueusement ; une France qui, à travers ses petits boulots de l’époque, rendait service plus qu’elle ne gagnait sa vie ; des intervenants psychosociaux qui, en quelques mois à peine ont soigné des dizaines de personnes et géré trop de surdoses qui auraient tout autrement mal tournées. Parce que la rue, ça magane, qu’on s’y attende ou pas. Et beaucoup plus rapidement qu’on ne le croit.

« Ça prend trois ans pour être complètement déconnecté de la société », affirmait, il y a près de 10 ans, un vieux d’la vieille de L’Itinéraire, camelot, qui a connu l’itinérance d’une autre époque.

Aujourd’hui, la chute peut être aussi longue qu’avant, mais une fois à terre… « Ça prend trois jours pour commencer à être désorganisé physiquement et mentalement, affirme Vincent Ozrout, directeur clinique à L’Itinéraire. Pour être désaffilié du système ? Six à 12 mois. » Plus rapide qu’on ne le croit.

Avalés par la rue

À la mi-mai, Stéphanie* expliquait à L’Itinéraire avoir perdu une bataille contre son propriétaire, à qui elle demandait une dératisation de son logement. En guise de pression, elle avait cessé de payer son loyer. Quatre mois plus tard, elle se retrouvait dans la rue, évincée. Incapable de se reloger, elle s’est installée une tente dans un parc près du Stade olympique. Sans le sou ni repères, elle s’est mise à ramasser des canettes.

L’Itinéraire a croisé Stéphanie un soir et sondé son intérêt à témoigner pour un reportage sur le ramassage de canettes. « J’apprends… ça ne fait que quelques jours », avait-elle confié, un peu gênée d’exposer sa situation. « Mais ça m’intéresse. Pis, j’me tiens propre, les cheveux coiffés, mon petit sac de cuir sur le dos, j’bois pas, j’me drogue pas, juste un petit joint le soir avant de dormir. »

Un mois plus tard, pour préparer cette édition, notre journaliste, Maureen Jouglain, est allée la voir. « Stéphanie, c’est bien la femme, cheveux brun, mi-longs… ? », avait-elle demandé par message une fois sur place. « Oui, petit sac à dos en cuir noir, tente colorée, pourquoi ? » « Parce qu’à cet endroit, il y a un homme et une femme en train de consommer », poursuit Maureen.

Quelques minutes plus tard, elle confirme, bouleversée : « C’était bien elle. Elle n’était pas prête à me parler. Je pense que les dernières semaines ont été un peu trop rough. »

La rue magane et peut avaler son monde plus vite qu’on ne le croit

* Nom fictif

Vous venez de lire un article de l’édition du 15 août 2025.
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