Dans sa tradition de couvrir les grands rendez-vous démocratiques, L’Itinéraire s’intéresse de près à l’élection municipale de Montréal du 2 novembre prochain. À l’approche du scrutin, marqué par la fin du second mandat de Valérie Plante, trois  principaux candidats briguent la mairie : Soraya Martinez Ferrada (Ensemble Montréal), Craig Sauvé (Transition Montréal) et Luc Rabouin (Projet Montréal).

Tous ont accepté l’invitation du magazine pour échanger chacun à leur tour avec les camelots Agathe Melançon, Gabriel Lavoie et Samir Halaima, le temps d’une rencontre franche autour de quelques enjeux clés qui touchent la ville… et ses citoyen.ne.s les plus marginalisé.e.s.

Luc Rabouin

Déjudiciarisation

En 2007-2008, je sortais de la rue. Je me souviens qu’on parlait déjà de déjudiciarisation des personnes en situation d’itinérance en lien avec les règlements municipaux. En 2017, la Ville a promis qu’elle allait revoir où abandonner certains règlements, comme troubler l’espace public, dormir sur un banc de parc, uriner dehors… Sans crier gare, en février dernier, elle a annoncé qu’elle n’allait finalement pas revoir ces règlements municipaux et mettait ainsi fin aux consultations avec les organismes concernés. Le milieu s’est dit trahi par cette décision.

Si vous êtes élus, vous engagez-vous à revoir les règlements municipaux qui souvent, ne font que surjudiciariser les personnes qui n’ont pas d’autres choix que de vivre dans l’espace public ?

Ensemble Montréal

Oui. Quand j’étais conseillère municipale en 2005, j’en parlais déjà. Mais la question, c’est aussi : comment mieux adapter les règlements pour que le partage de l’espace public se fasse de façon respectueuse ? Les personnes en situation d’itinérance ont aussi une responsabilité face à l’occupation du domaine public.

Ce n’est pas juste une question de revoir les règlements municipaux. C’est aussi de donner les moyens aux organismes communautaires de faire leur travail auprès des personnes en situation d’itinérance. Et c’est surtout d’accepter que tous ont une responsabilité dans le partage de l’espace public.

Exemple : les toilettes dans les chalets du parc de la ville sont souvent fermées, mal entretenues ou peu accessibles. Il faut s’assurer qu’on est capables d’avoir un meilleur mode d’utilisation de cet espace. Ici, c’est la responsabilité de la Ville.

Transition Montréal

Oui. Criminaliser les personnes en situation d’itinérance ne mène pas à de vraies solutions. Ce n’est pas aidant. Je pense qu’il y a beaucoup de gens qui vivent des situations difficiles dans la rue et qui ont besoin de ressentir que la Ville est derrière eux, et non pas contre eux.

Ça doit venir avec des ressources pour qu’ils puissent vivre pleinement leur vie citoyenne. L’approche doit être orientée vers la confiance, une relation d’égal à égal. Quand les gens se sentent comme des ennemis ou des indésirables, ça n’aide vraiment pas.

Projet Montréal

Absolument ! Je sais qu’il y a eu un travail en profondeur qui a été fait. J’ai eu plusieurs rencontres avec les organismes. On était rendus assez avancés.

On a mis ça sur pause parce qu’il y a un contexte de crise en ce moment. Il faut qu’on arrive à faire face à cette crise-là, améliorer les services, offrir du logement. La question des règlements est devenue moins prioritaire. Si je suis élu maire, on va finir cette job-là dans la première année du mandat. Il y a même déjà plusieurs modifications de la réglementation. Il faut qu’on remette ça à l’ordre du jour.

Soraya Martinez Ferrada

Campements

Les tribunaux ont récemment refusé de permettre le démantèlement systématique des campements de personnes en situation d’itinérance, et le Collectif québécois pour la prévention de l’itinérance s’apprête à déposer un Projet cadre juridique pour que le droit au logement devienne un droit fondamental. Que peut et que doit mieux faire Montréal, autrement que de demander plus de soutien au fédéral et au provincial? Est-ce que la Ville envisage de s’inspirer de modèles comme ceux de Fredericton, Ottawa ou Halifax, où les campements ont été partiellement tolérés ou encadrés ?

Ensemble Montréal

Je pense qu’il faut absolument que Montréal se dote d’un protocole pour les campements qui vise une cohésion sociale et qui inclut la responsabilité des personnes en situation d’itinérance ainsi que celle du voisinage. Quand les choses sont claires, la cohésion et le vivre-ensemble sont plus faciles. La Ville doit mieux soutenir les campements, respecter les gens là où ils sont, ce qu’ils en disent, mais il faut aussi respecter les gens qui habitent près des campements et s’assurer que leur qualité de vie est également respectée. Je suis complètement en défaveur des démantèlements sauvages et agressifs des dernières années. On doit s’assurer que les personnes sont bien accompagnées. C’est un accompagnement qui doit se faire avec des travailleurs de rue, avec des organismes communautaires. On a annoncé un montant de 30  millions supplémentaires pour l’itinérance. C’est un montant substantiel pour mieux outiller les ressources de terrain afin de mieux accompagner les gens. Par exemple, leur donner des espaces d’entreposage, de façon à ce que, lorsqu’ils seront prêts à aller dans des logements de transition, ils puissent apporter leurs biens. Le soutien médico-social va être super important.

Transition Montréal

Le terme « démanteler » est un peu un euphémisme. C’est une éviction forcée, sans le consentement des personnes qui cherchent à survivre. Les gens ne sont pas dans les grands campements par choix. Oui, ce n’est pas toujours beau. Oui, il y a des gens avec des enjeux d’organisation personnelle. Mais je trouve cette approche vraiment problématique. Les gens qui sont déjà vulnérables, déracinés… c’est un bris de confiance. Ils perdent leurs biens, parfois des médicaments, parfois des souvenirs personnels ou de l’équipement. Ces gens-là, qu’est-ce qu’ils vont faire ? Ils vont retourner vers les ressources communautaires. On va leur fournir une tente, un sleeping, des kits de survie aussi. C’est comme… on tourne en rond, et ça n’a pas de bon sens. Le communautaire agit pour essayer d’aider les gens à survivre. Avec notre plan pour taxer les ultra-riches, on veut tripler le budget de la Ville pour les services aux personnes en situation d’itinérance. Parce qu’on est un pays du G7. On est un pays riche, le Canada. On a tellement de ressources au Québec.

Projet Montréal

Je suis maire du Plateau-Mont-Royal, et chaque fois qu’on se retrouve dans une situation où il faut demander à des gens de quitter un espace public, on n’est pas à l’aise de le faire, parce qu’on sait qu’on n’a pas d’autre place à leur offrir. C’est toujours une décision extrêmement difficile. On tolère certains campements. Mais quand des tentes s’installent à côté d’un parc pour enfants ou dans un espace public très fréquenté, évidemment, on ne peut pas accepter ça. Dans ces cas-là, oui, on procède à un démantèlement – mais jamais de façon rapide ou brutale. On travaille étroitement avec les organismes, et on essaie de le faire de la manière la plus humaine possible. J’ai annoncé la création de 1 000 logements de transition. Même si ce qu’il faut ce sont des logements permanents, il n’y en aura pas assez rapidement. Et on ne peut pas avoir des campements qui s’installent un peu partout à Montréal. Il va falloir mettre en place des lieux organisés, encadrés, avec des toilettes, pour garantir que tout le monde est en sécurité. Nous allons permettre l’aménagement de lieux dédiés, structurés, encadrés.

Carte-repas solidaire

Logement pour tous

La Ville est en voie de réaliser 90 logements modulaires sur trois sites: Côtedes-Neiges (inauguré fin septembre), Ahuntsic et Outremont. Ces logements seront accessibles aux personnes en situation d’itinérance qui n’ont ni problème de comportement ni problème de santé mentale, d’après les critères annoncés. Selon les chiffres de l’Institut Douglas, 30 à 50 % des personnes en situation d’itinérance souffrent d’une maladie mentale. Mettre en place des logements modulaires est une étape positive, mais que fait-on pour celles et ceux qui en sont systématiquement exclus et risquent de se retrouver à nouveau dans la rue ou dans un campement, faute de places dans les bonnes ressources ?

Ensemble Montréal

L’itinérance, ça va au-delà de la question de la disponibilité des logements. Il manque de soutien en santé mentale. Il faut mieux travailler avec les tables régionales de santé. Il faut davantage d’escouades d’interventions mixtes spécialisées en santé mentale. Mais si on est capables d’admettre que Montréal vit une crise humanitaire de santé et de toxicomanie, qu’il y a besoin d’un niveau d’intervention médicale supérieur, alors il faut travailler avec Québec pour s’assurer que les sites de santé aient une meilleure coordination avec les organismes communautaires.

Transition Montréal

Dans le type de logement transitionnel qu’on peut créer, il y a tout un spectre. Les modulaires peuvent exclure certaines personnes. On mentionne que 30 % à 50 % des personnes [en situation d’itinérance] ont des enjeux de santé mentale. Là aussi, il y a tout un spectre. Il faut voir la santé mentale comme n’importe quel autre problème de santé, et ça doit être traité par l’État à travers son système de santé. Il y a beaucoup de personnes – que ce soit dans la rue ou non – qui n’ont pas accès à l’aide psychologique. Il faut absolument qu’il y ait des logements pour ces personnes-là aussi.

Projet Montréal

Le défi qu’on a en ce moment, c’est qu’à chaque fois qu’on essaie d’implanter des projets d’hébergement d’urgence ou des services pour les personnes en situation d’itinérance, les voisins, les élus de l’opposition se mobilisent. Ils disent : « Nous, on n’en veut pas, ça va être trop dangereux, il y a une école, une garderie. » Il y a toujours une raison pour s’y opposer. Ces logements ne sont pas destinés aux personnes avec des problèmes graves de santé mentale ou de toxicomanie. Ce sont des logements pour des personnes qui sont déjà dans un certain parcours de réinsertion. C’est une première étape. Ensuite, il faudra aussi avoir des options pour les personnes qui ne se rendent pas dans les refuges, qui ne vont pas dans les modulaires – des campements organisés et sécuritaires, par exemple. Campements, logements modulaires, logements de transition : ce n’est pas notre rôle habituel, mais là, on va le faire. Et ensuite, on interpelle Québec. On veut prêcher par l’exemple et leur demander d’en faire plus, pour qu’on puisse régler ce problème ensemble.

Craig Sauvé

Service d’urgence

Comment les villes comptent-elles s’adapter aux changements climatiques qui engendrent des températures extrêmes ? On parle de l’implantation de haltes-chaleur et de haltes-fraîcheur (une personne en situation d’itinérance est morte d’un coup de chaleur en 2024). Pourquoi observe-t-on un retard récurrent dans l’ouverture de ces haltes, alors que les épisodes de chaleur et de froid extrêmes sont prévisibles chaque année ?

Ensemble Montréal

Je ne comprends pas que chaque année, à l’arrivée de l’hiver, on se demande toujours s’il va y avoir des haltes. Je pense qu’elles doivent être ouvertes et accessibles toute l’année, 24  heures sur 24, 7 jours sur 7, et qu’il faut s’assurer que les gens savent où elles se trouvent. Il faut aussi une équité territoriale. Ça ne peut pas être juste au centre-ville. Il faut que, partout en ville, les gens aient accès à des services de première ligne d’urgence, n’importe quand dans l’année, notamment en lien avec les températures extrêmes. Par exemple, une forte pluie : à un moment donné, tu deviens tout mouillé. Peux-tu aller te changer quelque part et recevoir une aide ponctuelle parce que c’est ton besoin du moment ? On est capables de mieux outiller nos organismes communautaires qui offrent ce service et de leur donner l’appui nécessaire pour le faire toute l’année.

Transition Montréal

Je pense qu’il faut trouver des solutions pour avoir toujours des haltes-fraîcheur et des haltes-chaleur. On a des niveaux de chaleur jamais égalés dans notre histoire humaine depuis 15 000  ans à Montréal. Les étés deviennent dangereux. Donc, il faut avoir des services et des équipements pour sauver des vies. Avec les changements climatiques, ça donne des extrêmes dans tous les sens. La Ville doit faire sa part pour avoir du leadership dans ce dossier-là. Est-ce qu’on a des bâtiments municipaux qu’on peut transformer en halte-chaleur ou en halte-fraîcheur ? Il y a plusieurs bâtiments vacants qu’on pourrait retaper un peu.

Projet Montréal

On vit des périodes de températures extrêmes. En  2025, trois personnes en sont mortes. C’est troublant et inacceptable. C’est pour ça que je veux vraiment faire du logement une priorité, et que je veux qu’on aille à fond. Mais il faut aussi agir sur les haltes. On a déjà nos bibliothèques, par exemple, qui servent de haltes-fraîcheur, parce qu’elles sont toutes climatisées et ouvertes en tout temps. On ouvre aussi des haltes-fraîcheur supplémentaires dès qu’il y a des avertissements de grande chaleur. Et depuis des années, on dit au gouvernement du Québec qu’il faut prévoir aussi des haltes-chaleur, parce que l’hiver revient chaque année. On demande l’ouverture de ressources permanentes à l’année.

Les photos de Luc Rabouin et Craig Sauvé ont été prises par Gabriel Lavoie et la photo de Soraya Martinez Ferrada a été prise par Justine Lemelin.

Vous venez de lire un article de l’édition du 15 octobre 2025.
L'Itinéraire numérique