Les familles qui ont un des leurs dans la rue ou à risque de l’être sont souvent les premières à offrir de l’aide. Rapidement, ces proches aidants, que la société ne reconnaît pas, sont durement touchés, confrontés à leur impuissance et aux jugements de leur entourage.
Témoignage d’une mère pour son fils
« J’ai espoir qu’il se réinsère »
Le fils aîné d’Andréanne* est tombé dans la drogue à l’adolescence. Malgré un cadre aimant, ni sa famille, ni l’école, ni la société n’a réussi à prévenir sa chute. « Quand je croise une personne sans-abri, j’ai toujours une pensée pour la mère, le père, les grands-parents, les frères, les sœurs. Ils souffrent aussi ces gens-là », affirme Andréanne, maman de Victor*, 28 ans. Cette Montréalaise travaillant dans le milieu communautaire a souhaité témoigner, car « les familles sont souvent oubliées, on se sent seul. Beaucoup de personnes ne vont pas en parler, elles ont honte, elles ont peur du jugement », dit-elle. La culpabilité est envahissante et devient difficile à dompter. « Comme parent, on se demande où on l’a échappé… J’ai appris à ne pas me sen – tir coupable, parce que je suis bien entourée, j’ai consulté et j’ai été dans un groupe de famille », poursuit Andréanne, d’une voix douce.
« Maman, on se comprend »
Enfant, Victor* était hyperactif, verbomoteur, extrêmement curieux. C’était un leader avec beaucoup d’amis. Ses parents se sont séparés alors qu’il était en bas âge. Quelques années plus tard, sa mère a eu deux autres enfants avec son nouveau conjoint. Victor a une famille tissée serrée. « Les choses ont commencé à déraper lorsqu’il a changé d’école primaire, pense sa maman. Il a eu de la difficulté à s’intégrer, les cliques étaient formées, il se faisait tasser, il s’est ramassé avec les petits tannants. » Au secondaire, l’adolescent a substitué les pilules de kétamine à son traitement pour l’hyperactivité. « Il s’entourait de gens qui souffraient comme lui. Quand je lui disais : « C’est peut-être pas les bonnes personnes pour toi », il me disait : « Maman, on se comprend » », raconte Andréanne.
La pointe de l’iceberg
Pris, un jour, la main dans le sac, Victor est parti compléter un diplôme d’études professionnelles ailleurs. Propulsé rapidement sur le marché du travail, il a retrouvé sans difficulté des gens avec qui consommer. Dépassée et ne sachant pas comment s’y prendre, Andréanne a fait une thérapie en même temps que son fils au centre de réadaptation en dépendance (CRD) de la région. La situation était devenue intenable à la maison. Une fois, un intervenant lui a dit qu’elle ne voyait que la pointe de l’iceberg. « J’étais son filet protecteur, j’anticipais tout, je réparais ses conneries. Le matin s’il ne se levait pas, je le réveillais, j’allais le reconduire à son travail. Finalement, il ne pouvait jamais voir les conséquences de ses actes. » Après plusieurs crises, Andréanne a demandé les clés de la maison à Victor, en concertation avec son intervenant. Il fallait mettre une limite, tracer la ligne. Le jeune adulte a alors vécu plusieurs années en itinérance cachée, alternant entre le domicile de son père et le canapé de ses amis.
Premier hiver dehors
Au début, sa mère arrivait à savoir où il était. « Un jour, il m’a dit que dans la rue, il était quelqu’un. Il existait. Victor a toujours eu un grand cœur, c’est celui qui aide, qui accueille », raconte-t-elle, les yeux rougis par les larmes. Régulièrement, ils s’appellent. « Au début, c’était comme une lune de miel, ils sont jeunes, ils sont libres, ils couchent dehors, consomment, y a personne pour leur dire quoi faire », constate Andréanne. Il arrive au jeune homme de venir chez sa mère pour faire son lavage, prendre une douche avant de repartir. L’année dernière, il a passé son premier hiver dehors, à la recherche d’un coin de garage pour se réchauffer. « Il a trouvé ça dur », note Andréanne. La mère, qui croise souvent son fils dans le quartier où elle travaille, raconte qu’elle scrute, malgré elle, tous les recoins de rue à sa recherche. « Une fois, je l’ai vu assis sur un banc au loin avec un ami. Il avait une pipe à crack dans la main. Je le fixais en me disant qu’il allait finir par me voir, les larmes coulaient toutes seules. À un moment, il a levé les yeux. Il a baissé la main et m’a dit « je t’aime » du bout des lèvres. »
Rester forte pour les autres
La crainte de voir le nom de son enfant dans les journaux est bien réelle. « Quand quelqu’un te parle d’itinérance avec dégoût, ça fait mal », témoigne Andréanne qui sent le besoin de rester forte pour les autres membres de la famille. L’épuisement émotionnel guette et le combat n’est pas fini. « Je ne veux pas devenir un fardeau pour la famille et les amis. Je fais en sorte que mes enfants puissent exprimer leur colère ou leur peine sans la crainte d’en ajouter à la mienne », dit la proche aidante. La fratrie en a voulu à leur grand frère de les avoir abandonnés de la sorte. Une fois où Victor insistait pour dormir à la maison et s’y reposer le lendemain, son petit frère a explosé. « Tu viens comme ça, mais tu ne sais pas que nous, quand on se lève le matin, la première chose qu’on se demande c’est si t’es encore en vie ! »
Vous venez de lire un article de l’édition du 1er novembre 2025.



