Des rues du monde à la Norvège

Il faut être un peu fou pour croire qu’on peut rassembler 500 joueurs venus de 48 nations au même endroit le temps d’un tournoi de soccer. Il faut l’être encore plus pour imaginer y réunir des participants en situation d’itinérance, en lutte contre la dépendance ou au statut de réfugié. Et pourtant, ce tournoi existe. Depuis deux décennies, même. La vingtième Coupe du monde de soccer des sans-abri vient tout juste de se terminer à Oslo, en Norvège, et pour la première fois depuis 2015, le Canada y était. Pour la première fois tout court, des joueurs du Québec ont fait le voyage pour représenter l’unifolié.

Amateurs du ballon rond, oubliez un instant le trio Lionel Messi, Luis Suárez et Naymar. Pensez plutôt à Daniel Théberge, Fabrice Mugabe et César lobos. Loin de l’opulence et de l’adulation qui entourent les premiers, ces trois-là ont en commun une tout autre réalité: celle d’avoir connu la rue et d’avoir eu, pour adresse la Maison du père (MPD). Ensemble, ils ont représenté le Québec au sein de l’équipe canadienne à la vingtième Coupe du monde de soccer des sans-abri (CMSSA), qui s’est tenue du 23 au 29 août au Nobel Peace Center, sur la Rådhusplassen d’Olso, en Norvège.

Partir

Assis dans la cafétéria de la MDP, les trois joueurs rencontrés à une semaine du départ sont fébriles. Il y a quelques heures à peine, César venait tout juste d’apprendre qu’il recevrait son passeport à temps.

« Quarante ans après mon arrivée au pays, je me retrouve dans un processus de voyage sans aucun papier, lance-t-il. Pour une personne qui n’est pas née ici et qui n’a pas de certificat de naissance canadien, c’est extrêmement compliqué. »

Pour l’aider, Mathieu Lefebvre, coordonnateur à l’hébergement d’urgence et de référencement et responsable du projet soccer à la MDP, l’a mis en contact avec le député fédéral de Laurier—Sainte-Marie, Steven Guilbeault.

Pour Daniel, le manque de stabilité avant le départ a rendu les préparatifs plus compliqués : trouver une valise, des vêtements, une bonne paire de souliers pour marcher… Heureusement, Équipe Canada prend en charge une partie de l’équipement en remplissant beaucoup la valise de vêtements et de tenues d’entraînement aux couleurs du Canada. Ce soutien est rendu possible grâce à Sportira, une entreprise locale de vêtements sportifs dirigée par Karina Naim, également membre du conseil d’administration de l’Association canadienne de soccer de rue (ACSR).

… Et revenir

Au retour, César espère tourner définitivement la page sur une vie marquée, selon ses mots, par « la déchéance, l’alcoolisme, l’isolement et les enjeux de santé mentale ». Son objectif : décrocher un emploi. « Je ne me serais jamais imaginé voyager à 50 ans. Tout est donc possible. »

Daniel souhaite lui aussi trouver un emploi, tout en gardant l’œil ouvert pour d’autres opportunités, notamment pour développer son art, le slam.

Quant à Fabrice, ce tournoi représente une occasion de faire le point sur sa condition physique : « On a passé des années à fumer, à boire, à consommer, à vivre un train de vie dont on n’est pas toujours fiers. Ça te rappelle que retrouver la santé, c’est toujours possible. »

Mathieu Lefebvre, qui accompagnera le trio lors du voyage, leur a adressé quelques mots avant le départ : « On vous a choisis pour autre chose que votre talent. Le talent, c’est totalement secondaire. Ce qui compte, c’est votre attitude, votre esprit d’équipe, votre sens de l’appartenance, votre motivation, et surtout l’impact que ça peut avoir sur votre vie. La suite vous appartient. On vous souhaite de belles choses, mais c’est à vous de faire le reste. Vivez le moment présent. » Un discours qui trouve écho auprès des trois  joueurs attablés, mais qui vient aussi aux oreilles de la dizaine de gars qui attendent qu’on libère la cafétéria pour manger, tout près.

Vous venez de lire un article de l’édition du 1er septembre2025.Camelot d'un jour 2025 le 23 septembre