C’t’encore drôle
J’haïs le mois de novembre. Je l’haïs assez que je prends la peine d’écrire « je l’haGuis » avec un G prononcé tellement fort qu’il pourrait lui déformer la face en traversant le mur du son.
J’haguis novembre parce que c’est le mois des morts, tout est gris, les paysages ont l’air d’être dessinés au fusain pis ma luminothérapie consiste à devenir cynique pis méchant.
J’haguis novembre parce que c’est le moment de l’année où le soleil s’éloigne de nous, emportant avec lui sa lumière et sa chaleur, nous laissant la guédille au nez dans les doigts glacés de la noirceur qui arrive de plus en plus de bonne heure.
J’haguis novembre parce que c’est le moment où je veux rester chez nous, bien au chaud à faire des p’tits plats réconfortants pour oublier que dehors existe autour de mon dedans, parce que dehors novembre, comme chantait Dédé, « y fait frette dans mon p’tit cœur. »
Mais dans mon cas, c’pas parce qu’« y’a rien su’l répondeur ». Ça adonne que novembre c’est le moment où on me demande d’écrire un texte sur l’itinérance pis ça… j’haguis autant ça que novembre sinon plus. Le principal problème étant qu’avec ce sujet, je suis incapable d’être cynique et méchant.
Oh, je peux l’être en masse envers les politiciens qui s’étonnent chaque année de voir le phénomène de l’itinérance augmenter au même rythme que les prix des loyers sans jamais faire de lien entre les deux et qui demandent de « baisser le ton » quand on les critique. Je suis cynique envers les municipalités qui déploient des marchés de Noël éphémères afin d’attirer les touristes et leurs p’tites familles avec de belles lumières multicolores clignotantes pendant que l’autre bord de la clôture, des gyrophares de police illuminent le démantèlement d’un campement de sans-abri.
Pis le méchant me grouille dedans quand des journalistes en Canada Goose et caméras haute définition interviewent des humains grelottant afin de nous informer, bien au chaud dans nos salons, qu’y fait frette dewors.
Mais mon cynisme et ma méchanceté ne sont d’aucune utilité et ne viendront réchauffer le cœur de personne. Ça fait juste me faire bien paraître.
Ça fait oublier, le temps d’un texte, que d’autres humains formidables redoublent d’efforts pour venir en aide aux personnes en situation d’itinérance, organisent des distributions de repas, collectent des vêtements, offrent des abris, des soins, du réconfort pis du soutien. Eux le font sans jamais être cyniques ni méchants envers les autorités ou les gouvernements, ils le font avec le sourire sans jamais avoir l’air découragés ou ont au moins la bonté et le courage de ne pas le montrer.
Ils font tout ça sans recevoir de bravos ou de hourras, à la mesure de leur cœur, leur tête ou leurs bras, à la hauteur du retroussage de manches, des dons pis de l’awaye don », les bras ouverts afin de créer des moments de solidarité, d’affirmer sur la place publique que tout le monde a droit à sa place dans la Cité.
Pis ça, ça me réchauffe le cœur. Ça fait fondre la noirceur en moi pis me secoue de ma torpeur afin, d’à mon tour, aller dehors.
Rester cynique et méchant ne fait que m’enfermer chez moi alors que la bonté et le dévouement me poussent à sortir de ma grotte. Ça me force à étendre mon horizon, mon champ de vision, au-delà du gris, du froid et du morne. Que sous le ciel sombre et les arbres décharnés, il y a des îlots de chaleur, de beauté et de lumière qui donnent à novembre une forme d’espérance.
Vous venez de lire un article de l’édition du 1er novembre 2025.

