Pas facile d’expliquer les conspirations populaires en ces temps de pandémie. Dans leur plus simple expression, elles dénoncent un complot orchestré par la classe politique et médiatique et s’abreuvent sur les réseaux sociaux. Mais, en grattant un peu, la logique et les faits leur font souvent défaut. De plus en plus bruyants et bien visibles, les adhérents de ces théories remettent en question la légitimité des mesures sanitaires. Une situation préoccupante qui révèle aussi un malaise social profond.

L’histoire commence en décembre 2016 à Washington, quand un homme armé s’introduit dans un restaurant, persuadé qu’il arrêtera un réseau de pédophiles. Utilisateur de forums en ligne, il était de ceux qui pensaient que John Podesta, l’ancien directeur de campagne d’Hillary Clinton, alors candidate à la présidence, faisait partie d’un vaste réseau qui gardait captifs des enfants dans des restaurants. C’est le Pizzagate.

Le 28 octobre 2017, dans la section politique du forum 4chan, réputé pour être l’un des épicentres de la droite alternative américaine, un anonyme poste un message crypté avec plusieurs interrogations portant sur la politique intérieure des États-Unis, le comportement du président et les engagements militaires du pays. Avec l’effet boule de neige virtuel, d’autres utilisateurs ripostent de la même façon. Ensemble, ils donnent naissance au mouvement « QAnon ».

L’anonyme au centre de cette conspiration, c’est « Q ». Il s’agirait d’un agent secret affilié à l’armée qui annonce une gigantesque opération d’arrestations, ordonnée secrètement par le président Trump, dans les rangs de ses opposants politico-médiatiques et, bien évidemment, démocrates. Ils feraient partie d’une cabale satanique qui contrôle le gouvernement américain, voire le monde entier. Plusieurs d’entre eux seraient accusés de corruption et de pédophilie. Selon Q, dans les jours et semaines à venir, Donald Trump livrera cette guerre clandestine et ses opposants seront appréhendés, traduits en justice, envoyés à Guantanamo ou exécutés.

Sa prophétie ne s’est pas réalisée. En novembre 2017, la théorie fait son chemin dans la culture grand public avec la publication at large et sans filtre des messages de Q via Google Drive, YouTube, Facebook, Twitter et autres. Si elle a fini par s’inviter dans la campagne présidentielle américaine, dans les faits et trois ans après, la prophétie de Q tarde encore à s’accomplir.

La naissance d’un culte ?

À l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand, Victor Bardou-Bourgeois suit de près cette nouvelle mouvance conspirationniste. « Ce qui est particulier avec QAnon, explique-t-il, c’est qu’on y fait de plus en plus référence au sein du parti républicain. On signale l’approbation du mouvement, on partage du contenu produit sur internet, mais quand les journalistes posent des questions, on détourne le sujet. »

Oui, dans les grandes lignes, l’histoire est farfelue, mais n’empêche qu’il faudrait la prendre au sérieux. Elle vise les démocrates ou les Never Trump, ceux qui ont tourné le dos au président, avec d’importantes incohérences. La première étant que le héros de l’histoire fait lui-même partie de l’élite américaine et la seconde, que tout est très centré vers la prochaine élection qui sonnera le glas de son mandat. « Toutes les fois où le président leur fait des clins d’œil, c’est du bonbon pour eux. Cette croyance est très biblique comme façon d’interpréter le monde. »