Les décès par intoxication accidentelle à des opioïdes au Québec ont plus que doublé en 10 ans, passant de 62 en 2005 à 133 en 2015, rapporte le Bureau du coroner. Il semblerait que le médicament naloxone est en train de se tailler une place prépondérante auprès de la population vulnérable – souvent des sans-abri toxicomanes. Dans certaines régions, le nombre annuel de ces décès dépasse même ceux causés par des accidents de la route.

« Oui nous avons sauvé des vies grâce à la naloxone qui permet de renverser les effets de la surdose – perte de conscience et arrêt respiratoire entraînant la mort », estime Dre Carole Morissette, médecin-conseil à la Direction régionale de Santé publique de Montréal. Alors que sept surdoses liées au fentanyl ont été rapportées lors d’une intervention policière en une seule nuit à la mi-août dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, les victimes auraient toutes été sauvées grâce au naloxone.

Cocktail mortel

Dans ces dangereux cocktails de drogues consommées, le fentanyl aurait été retrouvé parmi les composantes chimiques. Le fentanyl est environ 100 fois plus toxique que la morphine et quelques milligrammes à peine de ce narcotique très puissant peuvent être mortels, révèle la Gendarmerie royale du Canada. Il arrive que les trafiquants en mélangent à d’autres substances (notamment à l’héroïne et à la cocaïne) pour réduire leurs coûts.

Cet antidote : la naloxone a fait son entrée sur le marché de la drogue au pays depuis que l’arrêté d’urgence, décrété en juillet 2016 par Santé Canada, a permis l’importation, la vente et la distribution de ce médicament pour le traitement d’urgence des surdoses d’opioïdes connues ou soupçonnées. Il est également approuvé par la Food and Drug Administration des États-Unis.

Vague importante de surdoses

« En 2014, il y a eu une vague de surdoses d’opioïdes à Montréal alors que seulement une dizaine d’ambulanciers étaient formés à l’administration de la naloxone. À la suite de ces événements, l’accès à la naloxone a été amélioré et a fait son entrée dans la communauté en juin 2015 », explique Dre Carole Morissette. C’est alors que le directeur de santé publique de Montréal, en partenariat avec l’organisme Méta d’Âme, le Centre de recherche et d’aide aux narcomanes (CRAN) et des pharmacies communautaires, a amorcé une démarche vers un accès élargi de la naloxone dans la communauté. En 2017, la majorité des ambulanciers sont formés (et ont la naloxone dans l’ambulance).

Par ailleurs, l’antidote a été utilisé une seule fois chez Dopamine – organisme communautaire situé dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve qui, depuis 23 ans, a pour mandat d’accueillir, soutenir et accompagner les personnes consommant des psychotropes. « C’est déjà arrivé sur la rue l’an dernier, mais pas fréquemment, heureusement d’ailleurs. La naloxone sauve des vies grâce à une intervention efficace et c’est un outil qui nous permet d’intervenir rapidement dans une situation de surdose, rapporte Martin Pagé, directeur général de Dopamine dont les 15 intervenants et quatre travailleurs de rue ont été formés par la santé publique. Nous sommes contents d’avoir été là et d’avoir pu intervenir pour ce cas impliquant une aide rapide entre la vie et la mort. » Dopamine compte deux points de service et accueille près de 13 000 usagers par an.

Le fentanyl amplifie la dose

« Les personnes sans domicile fixe sont des consommateurs à risque; nous les accompagnons. Le fentanyl se retrouve dans différents produits, dont l’héroïne. Et les gens consommateurs d’opioïdes sont à risque. Nous sommes convaincus que la naloxone est un outil efficace. Il semble y avoir présence d’une dominance de fentanyl dans les produits de coupe. Ce produit procure un effet de plus longue durée, une dose plus forte et plus longue à éliminer par le corps, affirme le directeur général de Dopamine. La trousse de naloxone est gratuite pour les gens qui suivent une formation. Ceux-ci peuvent provenir de l’entourage du consommateur. Faut être prêt à intervenir et rendre la trousse accessible à toutes les personnes concernées. Ce que nous souhaitons c’est que les gens puissent consommer de façon sécuritaire. »

PROFAN, acronyme pour Prévenir et Réduire les Overdoses – Former et Accéder à la Naloxone, est un programme qui facilite l’accès à la naloxone. Il a pris naissance en 2013 à Méta d’Âme, organisme d’entraide par et pour les personnes dépendantes des opioïdes. Comme les cas de surdoses continuaient d’augmenter, la Direction de la santé publique de Montréal (DSP), dans sa stratégie pour lutter contre celles-ci, a soutenu le projet. Le changement de classe du médicament (naloxone) par Santé Canada en mars 2016 a ouvert la porte pour une plus grande disponibilité auprès d’un plus grand nombre de personnes.

Des consommateurs sans-abri

Depuis juin 2015, le nombre de personnes formées à l’administration de la naloxone s’est élevé à 800, le nombre total de trousses distribuées à 633, alors que les trousses utilisées se chiffraient à 56. Sur 291 personnes « consommatrices » formées par PROFAN, 13 % provenaient d’un refuge, de la rue ou d’un squat. Sur 91 personnes formées en intervention brève, 24 % provenaient de ces mêmes milieux. Seulement quatre pharmacies sur l’Île de Montréal participent au programme et 60 % des personnes formées ont déjà été témoin d’une surdose.

La Loi du bon samaritain est destinée à protéger tout citoyen portant assistance contre toute poursuite judiciaire possible (par exemple, lors de surdoses. « C’est important de composer le 911 et nous voulons que les gens n’aient pas peur d’appeler. En regard de la Loi du bon samaritain, si celui-ci possède de la drogue sur lui, il n’aura aucune crainte de se faire arrêter par la police car les circonstances le protègent », prévient toutefois Mme Morissette.