Faire du documentaire sur Instagram. L’idée peut paraître surprenante et le résultat l’est tout autant. C’est l’exercice qu’a proposé L’inis (L’institut national de l’image et du son) à ses étudiantes, en collaboration avec L’Itinéraire.

En février, les étudiantes de L’inis ont présenté le résultat d’un projet élaboré sur Instagram à leurs enseignants, ainsi qu’à quelques membres de l’équipe de L’Itinéraire. De ce qui devait être au départ un simple exercice, les personnes présentes ont découvert une proposition particulièrement innovatrice et singulière.

Baptisé Vivre L’Itinéraire, cette page Instagram héberge le portrait de participants et d’employés de l’organisme sous la forme de mini-capsules vidéo, mais également de photos et d’extraits audio. Une œuvre qui adopte les traits d’une mosaïque plurimédiatique qui peut être regardée de manière linéaire ou pas, au gré de ses envies et de ses intérêts.

En résulte un concept qui est à la fois original et impressionnant. Un avis que partage le directeur du programme Documentaire, Benoît Pilon, que le grand public connaît entre autres pour son long métrage Ce qu’il faut pour vivre. « C’est au-delà de ce que je pouvais imaginer. Instagram offre des possibilités de déployer comme ça des portraits dans un projet collectif sous différentes formes : photos, audio, vidéo. Et le fait que les étudiantes aient travaillé en groupe enrichit d’autant plus la présentation globale. On a accès à différentes personnes de L’Itinéraire qui se sont prêtées au jeu. Je pense en même temps que cette forme de documentaire très nouvelle, et qui n’existe à peu près pas sur Instagram est très intéressante. Donc, on a l’impression de défricher de nouveaux territoires au niveau formel. Ça, c’est fascinant. Lors de la présentation une enseignante dans les médias interactifs à L’inis a été complètement éblouie par le travail. Puisqu’elle baigne là-dedans, elle voit toutes les possibilités de déploiement à l’international. Je trouve ça super emballant. »

Le médium est le message

Normalement, avec ce genre d’exercice, la démarche serait censée être plus intéressante que le résultat, mais ce dernier a dépassé les attentes de tout un chacun. « Ça démontre que le documentaire peut prendre plusieurs formes, explique Marie-Claude Fournier. Dans la tête des gens, c’est très linéaire, c’est du long métrage. Moi, je ne suis pas d’accord avec ça. Du documentaire, ça peut se faire de différentes manières, et je pense qu’on le prouve. » La documentariste, en collaboration avec la spécialiste des médias interactifs Marie Eve Berlinger, a accompagné les étudiantes du début jusqu’à la fin, tant sur le plan de la scénarisation de la structure web, que dans le choix des personnages et le développement d’un angle narratif. « J’étais vraiment curieuse de connaître les réactions des gens qui ne sont pas familiers avec Instagram, et ils ont parlé de profondeur. Mission accomplie d’avoir réussi ça. »

Marie-Christine Roussel, l’une des étudiantes qui ont travaillé sur le projet (sur les huit, un seul est de sexe masculin), nous parle de la motivation derrière cet exercice : « Cette année le directeur du programme voulait avoir quelque chose qui touchait aux nouveaux médias, parce que le documentaire évolue et on souhaitait essayer quelque chose de nouveau, quelque chose qui n’avait jamais été fait. Il trouvait que de faire un partenariat avec L’Itinéraire, ce serait vraiment pertinent puisqu’il y a beaucoup de personnalités et de gens intéressants au sein de l’organisme. Normalement, nos exercices, on les fait avec des professionnels du milieu, mais celui-ci avait pour but de nous obliger de travailler en solo. En documentaire souvent, on n’a pas beaucoup de moyens. Il faut apprendre à faire la caméra toute seule, à faire le montage, à faire le son, ainsi que de gérer ton sujet qui te donne de son temps, de son expérience pour faire la capsule. Donc, de faire un projet de A à Z par nous-mêmes. »

« C’est une forme de documentaire très nouvelle, quelque chose qui n’existe à peu près pas sur Instagram. »

Benoit Pilon
Directeur du programme Documentaire à L’inis

Zoom sur L’Itinéraire

C’est en lisant le Zoom, qui contient des portraits de camelots dans le magazine, que Benoît Pilon a eu l’idée de la réalisation de mini-documentaires : « L’Itinéraire est un joueur important au niveau social et humanitaire à Montréal et quand on fait du documentaire, on s’intéresse au réel et aux gens qui ont des parcours différents, parfois difficiles, et qui voient la lumière au bout du tunnel. Ça offrait aux étudiants la possibilité de rencontrer des personnes qui ont vécu des choses et ont des choses à dire. »

Marie-Claude Fournier et Marie Eve Berlinger trouvent également que L’Itinéraire était un sujet inspirant pour l’élaboration de ce projet : « C’est une richesse de pouvoir intégrer un milieu et de pouvoir le documenter comme le voulaient les étudiantes. L’Itinéraire, c’est un monde. On a compris quels sont les défis de l’organisme et on s’est rendu compte que nous-mêmes on pouvait avoir beaucoup de préjugés, pas nécessairement négatifs, mais on a dû revoir notre manière de percevoir ce magazine. Tout le monde le connaissait ou pensait le connaître. C’est une petite société L’Itinéraire, un microcosme. Un milieu qui est complexe. C’est une richesse pour les documentaristes de pouvoir rentrer là et de raconter une histoire. »

Pour Marie-Christine Roussel, cela allait en droite ligne avec les raisons pour lesquelles elle a opté pour le documentaire : « J’ai choisi le documentaire pour les humains, pour les gens. C’est ça qui me passionne : parler de leur histoire. Quand tu fais de la fiction, tu parles de toi. Moi, je veux raconter les histoires des gens qui n’ont pas le privilège de faire ce métier, qu’on n’entend jamais. Pour moi, c’est un devoir. Les participants de L’Itinéraire, ce sont des personnes marginalisées. Si on peut juste leur donner une voix… Ils ont des choses à dire qui sont très intéressantes. Ce sont des gens touchants, intelligents qui ont beaucoup de choses à nous apprendre. C’est la vocation que je me donne en documentaire. »

Un tout cohérent et pertinent

Malgré que le tournage des capsules se soit fait de manière individuelle, une grande partie de la conception de ce projet a été élaborée en équipe, ce qui n’a pas toujours été facile, comme nous l’explique l’étudiante : « Normalement, quand tu es réalisateur, tu es tout seul. Tu fais ta vision, tu prends tes décisions. Il fallait concilier les visions de chacun pour faire un tout. Il fallait trouver des choses qui reliaient les personnages entre eux pour s’assurer qu’il y ait une cohésion globale, mais malgré ces contraintes, on était assez libre. »

Au risque de se répéter, le pari a été gagné haut la main, tellement chaque œuvre forme un tout cohérent et pertinent. Ainsi, malgré les difficultés et les embûches qu’ont dû surmonter les artisans de ces capsules, tout le monde semblait heureux de son expérience et content du résultat. On pourrait même les qualifier de pionniers dans leur domaine et L’Itinéraire est très fier d’avoir collaboré à ce projet innovant.

« J’ai choisi le documentaire pour les humains, pour les gens. C’est ça qui me passionne : parler de leur histoire. Quand tu fais de la fiction, tu parles de toi. Moi, je veux raconter les histoires des gens qui n’ont pas le privilège de faire ce métier, qu’on n’entend jamais. »

Marie-Christine Roussel
Étudiante à L’inis