Dans la nuit du mercredi 23 au jeudi 24 février, malgré tous les efforts diplomatiques, le président russe Vladimir Poutine a lancé une offensive militaire contre l’Ukraine. Ceci, peu de temps après avoir reconnu l’indépendance des républiques séparatistes de Donetsk et Lougansk, situées dans l’est du pays. Le bilan humain était encore incertain au moment de mettre sous presse, notamment en raison des chiffres qui diffèrent suivant les sources, qu’elles soient ukrainiennes, internationales ou russes. Chose certaine : cette invasion, tant redoutée, est le pire conflit en Europe depuis 1945.

L’Itinéraire tente de prendre un pas de recul et s’intéresse aux premières conséquences de cette guerre. Membre du Réseau international des journaux de rue (INSP), on vous raconte comment les plus marginalisés sont pris en charge par des organismes d’aide humanitaire. En plus de ces témoignages, nous livrons ceux de Montréalais impliqués dans le conflit tout en ouvrant une fenêtre de réflexion sur la couverture médiatique.

CONTEXTE

Comment la guerre a-t-elle commencé?

Dès le 21 février, le président russe Vladimir Poutine annonce qu’il enverrait des troupes dans les régions de Donetsk et de Lougansk, après avoir signé un traité reconnaissant leur indépendance. C’est le dernier chapitre d’un conflit qui remonte au moins à 2014, lorsque la Russie a pris le contrôle du territoire ukrainien de la Crimée et a soutenu les forces séparatistes pro-russes dans ces régions du Donbass.

La suite, on la connaît: invasion de l’Ukraine, exode de plusieurs millions de personnes vers les pays frontaliers, sanctions internationales venant des gouvernements ou d’entreprises, négociations diplomatiques qui n’en finissent plus. Tout cela sert de réponse aux agissements d’un chef d’État de l’une des plus grandes puissances mondiales qui brandit une nouvelle fois la menace nucléaire.

Le 24 février, Vladimir Poutine annonce une « opération militaire spéciale » dans la région de Donbass, dans l’est de l’Ukraine. Cette annonce se fait dans un discours télévisé, au moment même où le Conseil de sécurité des Nations unies l’implorait d’arrêter toute action de guerre. Le président russe justifiait alors son action par le fait que « l’opération visait à démilitariser et dénazifier l’Ukraine ».

Ferme et froid face à la caméra, ses propos sont cinglants : « J’ai pris la décision de mener une opération militaire spéciale. Son objectif sera de défendre les personnes, qui depuis huit ans [date d’annexion de la Crimée], subissent des persécutions et un génocide de la part du régime de Kiev ».

Sans fournir la moindre preuve de ce qu’il avance, Poutine appelle les soldats ukrainiens à déposer leurs armes en les avisant qu’ils seront autorisés à quitter la zone de combat. Il avertit en même temps les autres pays qui soutiennent l’Ukraine: « quiconque tente d’interférer avec nous, ou plus encore, de créer des menaces contre notre pays et notre peuple, doit savoir que la réponse de la Russie sera immédiate et entraînera des conséquences telles qu’elle n’en a jamais connu dans son histoire. Nous sommes prêts à faire face à toute éventualité. »

L’Ukraine se défend

De suite, le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Dimitro Kuleba, déclare que plusieurs villes sont attaquées. « Poutine vient de lancer une invasion à grande échelle de l’Ukraine. C’est une guerre d’agression. L’Ukraine se défendra et gagnera. Le monde doit arrêter Poutine », exhorte-t-il.

Dès ce moment, le pays rompt ses relations diplomatiques avec la Russie et déclare qu’elle fournira des armes à ceux et celles qui défendraient le territoire. Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, prononce un discours émouvant à la télévision dans lequel il prévient, en ukrainien, qu’il s’agit du début d’une grande guerre sur le continent européen.

En russe, il appelle la population du pays voisin à rejeter une attaque, en soulignant qu’on lui mentait au sujet de l’Ukraine : « ils disent que la flamme [de la guerre] libérera le peuple ukrainien, mais les Ukrainiens sont libres […] Nous n’avons pas besoin d’une guerre, ni froide, ni chaude, ni hybride. Mais si les troupes nous attaquent, si elles essaient de prendre notre pays, notre liberté, nos vies, les vies de nos enfants, nous nous défendrons. S’ils nous attaquent, ils verront nos visages, pas nos dos. »

L’histoire prise en otage

Pour de nombreux analystes de cette région, le signe précurseur du conflit était la reconnaissance de l’indépendance des deux zones de l’Ukraine contrôlées par des séparatistes soutenus par la Russie.

Le raisonnement de Vladimir Poutine contre l’Ukraine se base sur l’histoire. Il affirme que l’Ukraine n’en a pas en tant que nation et accuse ses autorités de corruption. Ceci, peu après avoir signé un ordre pour que des troupes de maintien de la paix soient envoyées dans ces deux régions. « L’Ukraine n’est pas pour nous un simple pays voisin, elle fait partie intégrante de notre propre histoire, de notre culture et de notre espace spirituel », se justifie-t-il. Les accusations fusent et il va jusqu’à plaider sans preuve qu’il y a un « génocide ukrainien contre les russophones dans l’est du pays ».

Souvenons-nous qu’en 2014, la Russie a pris le contrôle de la Crimée en soutenant les forces séparatistes dans l’est de l’Ukraine. Des groupes rebelles ont créé des républiques populaires à Donetsk et à Lougansk. Bilan : un peu plus de 14 000 morts.

Dès le 18 février, des tirs ont été signalés dans cette région, violant ainsi les accords de cessez-le-feu. L’attaque était planifiée puisqu’il faut tout de même se rappeler qu’en novembre dernier, la Russie commençait à déployer un grand nombre de troupes dans les zones frontalières avec l’Ukraine, ceci même si Vladimir Poutine laissait entendre qu’elles se retireraient.

La parole aux journaux de rue

Avec l’aide du Réseau international des journaux de rue (INSP), dont L’Itinéraire est membre, des représentants des journaux de rue et d’organismes proches de l’Ukraine témoignent du quotidien des citoyens de même que des personnes marginalisées depuis le début de l’invasion russe.

Dans ce pays où la pauvreté, le chômage et l’itinérance est une réalité, plusieurs personnes avaient déjà du mal à accéder aux besoins de base. « Nous sommes profondément inquiets pour ces communautés vulnérables qui sont innocentes », peut-on lire dans un communiqué rédigé par l’INSP, qui regroupe une centaine de journaux de rue dans le monde.

The Way Home, une organisation caritative d’Odessa, ville portuaire au sud de l’Ukraine, travaille auprès des personnes marginalisées. Il y a quelques années, elle produisait un journal de rue du même nom. Le 24 février, le directeur de l’organisation, Sergey Kostin témoignait : « En ce moment, nous traversons des temps très difficiles, mais nous faisons notre travail avec constance. On nous a demandé d’héberger dans nos refuges des femmes avec des enfants qui venaient du front. Il y a aussi notre clientèle régulière qui est aussi vulnérable en raison de leur pauvreté. Je ne sais même pas comment ils parviennent à survivre. »

Se disant horrifiées par la situation, Dagmara Szlandrowicz et Patrycja Zenker du journal de rue polonais, Gazeta Uliczna exprimaient aussi leur solidarité, leur amitié et leur fraternité envers le peuple ukrainien. « Même si on avait des informations sur cette attaque, plusieurs d’entre nous n’y croyaient pas,explique Mme Zenker, rédactrice en chef du journal de rue. On ne pensait pas que c’était possible dans notre monde moderne. De nombreux Ukrainiens vivent et travaillent en Pologne, mais actuellement plusieurs réfugiés sans passeport veulent franchir la frontière. Nous attendons que les autorités rendent cela possible. »

En Pologne, de nombreuses organisations aident à traduire, conseillent juridiquement ou soutiennent psychologiquement ceux qui en ont besoin. « Desdrapeaux ukrainiens sont affichés dans les fenêtres de nos bureaux. Nos réseaux sociaux sont aux couleurs de l’Ukraine et toutes les sources d’informations fiables reçues sont partagées », dit la rédactrice en chef.