Geneviève Pettersen, auteure, chroniqueuse, scénariste, s’est fait connaître avec son roman La déesse des mouches à feu, paru en 2015. Elle s’est beaucoup exprimée à l’automne dernier, lors des débats autour de la culture du viol. Jeune mère de trois enfants, elle nous explique que l’éducation des jeunes garçons et des jeunes filles est le meilleur moyen de prévenir les violences sexuelles.
Il y a eu un gros débat autour des violences sexuelles à l’automne. Croyez-vous que ça a eu un impact sur la société ?
Le meilleur côté de cette médiatisation, c’est d’atteindre les masses. L’impact que moi je vois et que je trouve très positif, c’est que de la part des femmes, il y a un désir de ne plus se laisser faire. Le mouvement aide certaines femmes à verbaliser ce qu’elles ont vécu, à prendre la parole et à porter plainte. Mais aussi, il ne faut pas se leurrer, ce courant-là amène une certaine pression. Je sais qu’il y a des filles qui se sont senties mal de ne pas dénoncer ou de ne pas le dire publiquement. Il faut faire attention à cet effet d’entraînement : ce n’est pas parce que moi je suis allée le dire à la télé que toi, tu es obligée d’être avec nous.
Où commence la violence sexuelle?
Je pense que la violence sexuelle commence là où l’une des deux personnes se sent mal à l’aise, ça peut être une parole, un geste, un regard. Dans quelle circonstance peut-on accorder le consentement ? Quand on parle d’agressions sexuelles, de viols, on a tous en tête ce crime sordide : t’es dans le fond d’une ruelle, il y a un étranger qui te saute dessus avec son couteau et ça y est, tu y passes ! L’agression sexuelle, ça peut prendre plusieurs visages, ça peut prendre beaucoup de nuances, c’est ambigu. Ça peut être quelqu’un qu’on aime, un proche. Un viol, ce n’est pas nécessairement une pénétration.
Vous avez défini « la culture du viol » comme le fait, entre autres, que la femme doive quelque chose. Pouvez-vous nous en dire plus ? Les femmes itinérantes sont-elles plus vulnérables ?
Le fait que la femme doive quelque chose est très ancré dans chaque femme. « Il a été fin, il m’a invitée au restaurant, il a tout payé. » Cette idée de l’homme pourvoyeur et de la femme proie est difficile à défaire. Et ce n’est pas seulement vrai chez les femmes en situation de pauvreté, même si elles sont plus exposées à la violence et que le risque d’agression doit être beaucoup plus grand pour elles. Mais ce que je trouve dommage souvent, c’est que ces femmes-là sont un peu invisibles. On ne veut pas trop les voir, elles sont dérangeantes, le jugement vient un peu vite. Les femmes itinérantes sont peu représentées dans les médias.
Est-ce que les hommes sont aussi touchés par les violences sexuelles ?
C’est un gros tabou, on en parle peu. Souvent quand on en parle, ils ne sont pas pris au sérieux. Mais oui, ça existe la violence sexuelle au féminin, et même chez les couples homosexuels et lesbiens. La violence sexuelle ne connaît pas de genre.
Et quelles sont les conséquences pour les hommes respectueux qui, malgré eux, portent le sexe de l’agresseur ?
Je sais qu’il y a certains gars dans mon entourage qui se sont sentis un peu victimes d’une chasse aux sorcières, c’est-à-dire qu’ils avaient l’impression qu’ils n’avaient plus le droit de rien faire et de rien dire. Je ne sais pas si je suis d’accord avec ça. C’est perturbant, c’est préoccupant. Je crois qu’il y a un désir de beaucoup de gars de nous accompagner dans cette lutte-là. Je suis vraiment pour un féminisme inclusif et je pense que l’égalité, on va l’atteindre avec les hommes et que ces questions d’agressions, c’est bien de les mener de front avec les gars.
Est-ce normal que les victimes doivent sans cesse se justifier ?
Ce qui m’a frappée, c’est que l’agression sexuelle est le seul crime où on interroge la victime sur sa vertu. Je pourrais me déshabiller au complet et aller me promener nue dans la rue, ça ne voudrait pas dire que tu as le droit de me toucher. À un moment donné c’est ridicule, je trouve ça complètement inacceptable qu’une victime d’agression ait à prouver qu’elle ne s’est pas mise dans cette situation-là. Et il y a la réaction des policiers qui n’est pas toujours positive, ils vont toujours l’interroger sur sa consommation : « Étais-tu droguée ? Avais-tu bu ? » C’est quand même assez humiliant et je comprends parfaitement les victimes à qui ça ne tente nullement d’en parler.
Si les peines étaient plus sévères, cela changerait-il quelque chose ?
Ce qui fait qu’il y a moins d’agressions, de violence, c’est d’abord la prévention, c’est de commencer dès le plus jeune âge à en parler. Cette éducation-là est beaucoup plus importante que les peines sur lesquelles on n’a aucun contrôle. Car à l’inverse, on a du contrôle sur comment on éduque nos enfants et sur comment, à l’école, on parle de ces questions-là.
La pornographie est omniprésente et facile d’accès, les femmes y sont souvent représentées comme des objets. Est-ce que vous croyez qu’elle aurait un résultat différent si on voyait des couples qui s’aiment et se respectent ?
Je pense qu’il est trop tard pour revenir en arrière. Honnêtement, je pense que la pornographie a déjà teinté toute notre culture. Il existe de la pornographie féministe, mais la pornographie est encore faite pour les hommes. Je ne suis pas contre la pornographie mais il faut faire attention et être conscient de ce qu’on regarde. Qu’est-ce que ça nous fait, comment ça nous influence dans notre vie sexuelle. Et je ne pense pas que des adolescents de 14 ans sont capables d’avoir ce recul sur la pornographie. Ce que je trouve dommage, c’est que les enfants sont laissés là-dedans sans aucun accompagnement.
Est-ce que l’éducation sexuelle à l’école peut changer les mentalités futures ?
Seulement si les enseignants qui offrent cette éducation sont à l’aise de donner ce cours. Parce que ce n’est pas vrai que n’importe qui peut donner un cours d’éducation sexuelle positivement. Moi, je suis pour le retour des cours d’éducation sexuelle dans les écoles et j’intégrerais à ce cours de l’éducation numérique, c’est-à-dire tout ce qui touche à internet et à l’intimidation. Parce que l’intimidation en ce moment, c’est beaucoup sexuel. Je rêve d’un atelier où on inviterait aussi les parents, pour les outiller et leur expliquer : « Voici tout ce que votre enfant peut faire aujourd’hui avec internet, voici comment vous pouvez l’accompagner là-dedans, et voici ce que vous pouvez faire s’il arrive quelque chose qui n’est pas souhaitable. »
Comment l’éducation sexuelle peut apprendre à un petit garçon comment bien traiter une petite fille, quand le modèle à la maison démontre le contraire ?
Les enfants apprennent par mimétisme. C’est sûr que ce n’est pas tout le monde qui a la chance d’être dans une famille aimante où il y a du respect. C’est un privilège et il faut en être conscient. Après ça, quand tu n’as pas ce privilège, on peut t’aider à aller mieux. D’où l’idée justement d’avoir une école forte, d’être entouré d’organismes communautaires, d’intervenants ; c’est un filet. Il faut que tu aies un autre modèle ailleurs et des modèles masculins positifs. Mais ça prend des ressources pour mettre tout ça en place.
C’est quoi le gros défi, en tant que parent, pour offrir une bonne éducation à ses enfants ?
C’est d’être conscient de son propre angle mort. On a tous des réflexes qui partent de préjugés, des idées préconçues sur les genres. J’ai deux filles et je suis particulièrement sensible à ça. Dès la petite enfance, on apprend aux petites filles à plaire et on leur dit : « Si tu t’habilles d’une manière, tu cours après le trouble. » On leur enseigne aussi à se comporter d’une certaine façon pour qu’il ne leur arrive rien. Il faut être conscient de ça et en parler librement.
Quand j’entends Éric Duhaime comparer les femmes victimes de violence sexuelle à des autos qu’on aurait laissées débarrées, ça me met en troisième crisse. Moi, je n’ai pas envie de me comparer à un char, mais j’ai envie de vous dire, et à lui en particulier, que je peux laisser les portes débarrées si ça me tente et que cela ne constitue en rien une autorisation pour venir s’asseoir dedans
L’égalité homme-femme ?On a du chemin à faire, la femme est encore considérée comme une chose. On ne commente pas vraiment l’apparence physique des gars, mais on commente beaucoup le corps de la femme : « Tu es trop grosse, tu es trop maigreu2026 » On est encore là-dedans, dans la pute et dans la vierge, c’est épouvantable ! Je le constate chaque jour de ma vie dans ma boîte courriel. C’est dur d’être une personnalité publique femme. Mes collègues masculins, personne ne va leur dire : « Ta gueule je vais venir te violer » mais moi, c’est tout le temps. On est tellement loin de l’égalité. C’est pour ça que quand j’entends des masculinistes, et même des femmes, dire que l’égalité homme-femme est faite, ça me jette à terre. Les politiques vestimentaires à l’écoleÀ l’école primaire et à l’école secondaire, il y a des politiques vestimentaires qui touchent seulement les jeunes filles : longueur de jupe, longueur de short, bretelles spaghetti. Quand on demande à l’administration de l’école la raison, souvent, la première réponse qu’on a, c’est que ça dérange les garçons en classe. Le message que ça envoie, c’est que tout homme est un potentiel agresseur, alors que c’est complètement faux. C’est comme si on disait aux garçons qu’ils n’étaient pas capables de se contrôler et qu’on disait aux filles : « S’il t’arrive quelque chose, c’est de ta faute. » Bientôt un livre pour enfantsGeneviève Pettersen travaille actuellement sur un livre illustré, qui devrait être publié à l’automne prochain chez Fonfon. Il s’adressera à la fois aux filles et aux garçons du primaire afin de les sensibiliser sur le sexisme. |
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