L’Itinéraire a recensé un peu plus de sept* mouvements en ligne insufflés au Québec. Tous reprennent des idéologies que l’on pourrait assimiler à celles de l’extrême droite. S’ils sont populaires sur les réseaux sociaux, il reste difficile de les quantifier dans le réel. En d’autres termes, se baser sur leur popularité en ligne n’est pas un indicateur suffisamment fiable pour affirmer qu’ils ont de plus en plus de poids dans l’opinion publique.

Sans identifier les noms de ces sept groupes pour ne pas leur servir de vitrine, il semble important de mentionner qu’ils affichent tous des scores impressionnants de « fans » sur leurs réseaux sociaux. Certains mettent plus en avant leur créativité que d’autres dans la promotion de leurs idées. Chose certaine, tous ont une maîtrise de base des outils numériques jusqu’à multiplier les façons dont ils transmettent leurs messages par l’entremise de photos, de statistiques, d’articles de presse réorientés par une courte description, de vidéos et même de transcriptions de textes en audio. D’autres ont même une procédure plus ou moins stricte et anonyme pour recruter des membres sur un groupe privé, tout en veillant à communiquer certaines informations sur une page publique. Mais, si leurs prises de position peuvent être questionnables, il reste difficile de prouver qu’ils cautionnent ou prônent publiquement la haine ou la violence.

Leur force est en effet de parvenir à attribuer ces appels haineux et violents à certains de leurs membres et non au groupe tout entier. Pour mieux comprendre, dans la plupart des cas, ils légitiment leur existence par « le besoin de protéger l’identité québécoise, la nécessité de lutter contre l’islamisation, les effets jugés néfastes de la mondialisation ou encore ladite ingérence des politiciens dans les politiques d’immigration ».

À ce stade-ci, il est courant d’entendre parler de liberté d’expression et d’opinion. Ces notions sont encadrées au Québec par la Charte des droits et libertés de la personne, tant qu’il n’y a pas d’atteinte aux droits d’autres citoyens que ce soit en ce qui concerne sa vie privée, son image, sa réputation ou sa sécurité. En clair, ces groupes existent en ligne en toute légalité bien qu’ils soient surveillés de près par les autorités.

« Il faut comprendre que ce qu’ils cherchent actuellement, c’est que l’on parle d’eux, qu’on les cite, qu’on les nomme. Et, ceux qui en parlent peuvent courir le risque de se faire menacer uniquement quand ils dénoncent leurs propos. Cela peut expliquer pourquoi c’est un peu complexe et que certains évitent d’en parler. Mais, si l’on va au-delà des insultes et des menaces, on se rend compte que ces partis sont très critiques envers certaines décisions politiques et qu’ils sont pour la plupart devenus beaucoup plus proactifs sur les médias sociaux à la suite du débat sur la Charte des valeurs québécoises de 2013 », explique Denise Helly, professeure à l’Institut national de recherche scientifique (INRS).

Ce débat très médiatisé aurait donc levé une sorte « d’interdit » pour tous les partis politiques québécois : celui de parler ouvertement des mesures de contrôle de l’immigration et de questionner l’identité québécoise jugée menacée par les politiques d’immigration. « À partir de ce moment-là, ces groupuscules se sont sentis légitimes. Attaquer l’islam ou parler des méfaits des politiques d’immigration étaient permis puisque les élites l’ont fait. En ce sens où ce que l’on raconte dans la sphère publique sur les concepts complexes que sont l’identité ou la nation, en prenant soin de définir le tout en fonction d’un agenda politique, c’est ce que l’on appelle un processus de construction d’un discours. Et la question est de savoir ce que ce discours mobilise réellement, ce qu’il va chercher comme frustrations, comme justifications auprès des adhérents ».

Idées et légitimité

Ce phénomène est loin d’être nouveau. Denise Helly soutient d’ailleurs qu’historiquement, la plupart des mouvements d’extrême droite, particulièrement les groupuscules populistes, « ont été construits sur une anémie. Au 19e siècle, c’était les juifs et aujourd’hui, la plupart d’entre eux s’attaquent aux musulmans ». Leur postulat de base est « qu’il n’existe qu’une seule nation et qu’elle est menacée par le terrorisme, l’État islamique ou le multiculturalisme et qu’il faut la défendre ».

Pour la chercheuse, cette utilisation de la notion de terrorisme est un moyen d’inquiéter les citoyens et d’empiéter sur certaines libertés individuelles. « C’est l’islamisme qui fait peur, bien qu’il n’existe que dans sa forme conservatrice et non radicale au Québec. En parler à chaque occasion permet d’accentuer la panique et le sentiment d’insécurité. Et ce qui donne plus de poids à ces groupes est qu’ils sont internationaux, par le biais des réseaux sociaux et que le risque zéro n’existe pas », plaide-t-elle. « Que ces mouvements existent, ce n’est pas le principal problème. Ce qui est intéressant, c’est de se questionner sur les raisons qui font qu’ils interpellent de plus en plus de citoyens, et ce, alors même que certains de nos élus se permettent d’utiliser ces notions sans retenue en donnant ainsi plus de légitimité aux mécontentements et frustrations, donc à ces groupuscules. »

Professeure, politologue et sociologue à l’UQAM, Maryse Potvin soutient que vers la fin des années 1990, « il existait effectivement une vingtaine ou plus de groupuscules fascistes, néonazis ou skinheads, qui faisaient souvent face à des mouvements antiracistes », mais « ces groupes ont diminué et réapparaissent de manière cyclique au gré des débats publics et des tensions internationales ». Cela expliquerait donc pourquoi certains de ces groupes sont nés après les attentats du 11 septembre 2001et qu’ils sont perçus par certains comme pertinents « puisqu’ils se focalisent sur la hantise des musulmans et une peur de l’envahissement de l’occident par l’islam ». De plus, « une certaine couverture médiatique peut contribuer ou non à accentuer ces idéologies. Nombreux sont ceux qui publient des textes qui font écho à cette perception d’envahissement culturel. ».

Paradoxalement, ces idéologies sont justifiées par des valeurs universelles qui sont utilisées contre les minorités, au nom de « nos valeurs ou de notre identité ». Mme Potvin illustre ce propos par la notion d’égalité entre les hommes et les femmes, « qui reste une valeur universelle qui n’est pas propre au Québec. » La sociologue pense que ceci « légitime une certaine dévalorisation de l’autre qui est diabolisé, perçu comme inférieur. Le groupe majoritaire devient ainsi l’entité à valoriser, victime d’un groupe inférieur ».

Pour mieux comprendre le discours de justification légitimant l’existence de ces groupes, la professeure rappelle que « leurs propos reposent sur des mécanismes racistes soit conscients soit inconscients. Il s’agit de mécanismes sociocognitifs qui peuvent mener au passage à l’acte discriminatoire et ce, même si les membres de ce groupe ne se considèrent pas racistes », insiste Mme Potvin.

Popularité virtuelle

Photo : Mathieu Bélanger / Reuters

Quelles que soient les justifications données à leur existence sur la toile, il semble pertinent de s’interroger sur les raisons de la popularité de tels discours sur les réseaux sociaux. L’un des indicateurs à ce niveau est le nombre de « fans ». Précisons tout de même que la fiabilité de cette information peut être remise en question notamment lorsqu’on analyse le poids réel que les publications ont dans l’univers virtuel.

Et à Benjamin Ducol, responsable de la recherche au Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence (CPRMV) de rappeler que pour parler d’une popularité réelle de ces groupes, il est nécessaire de prendre en compte leur nombre effectif d’adhérents et leur visibilité réelle. « On a l’impression, à cause notamment de leur nombre de fans en ligne, que les groupes d’extrême droite sont de plus en plus nombreux. Mais cela ne veut pas dire qu’il y a une réelle multiplication en soit. Très souvent, on constate que les membres d’un groupe x font partie d’un autre groupe y et ainsi de suite, explique-t-il. L’existence de ces labels variés et leurs activités en ligne ne signifient pas pour autant qu’ils sont actifs dans la vie réelle. » De plus, certains groupes, selon le chercheur, peuvent réunir plusieurs milliers de personnes en ligne alors que d’autres n’en sont pas capables.

En somme, parler d’augmentation réelle des groupes affiliés à l’extrême droite est plus facile que de le prouver par des faits concrets. « Exception faite des manifestations qu’ils peuvent mener devant des institutions publiques ou politiques, il est difficile de juger de leur visibilité. »

Et internet reste l’outil le plus populaire pour propager des idées, quelles qu’elles soient. « Cette plateforme est un peu sans contraintes et cela se voit notamment quand on s’intéresse à l’extrême droite puisque ce sont des idées que l’on n’entend pas forcément dans le débat public », ajoute M. Ducol. Il rappelle qu’au Québec, il n’existe pas de parti d’extrême droite institutionnalisé. « Ce qui explique notamment pourquoi ces groupes participent plus à créer une communauté d’appartenance en ligne où des idées se partagent pour des individus qui seraient outre mesure isolés. »

Cette communauté virtuelle est d’ailleurs très variée. Certains sont fortement politisés et militants quand d’autres le sont moins, certains ont une vision réellement attribuable à celle de l’extrême droite quand d’autres sont plus sympathisants, curieux et attirés par certaines idées. Il y a aussi bon nombre de membres qui sont en réalité des observateurs de ces groupes et qui ne prennent aucune position. « Il ne faut pas oublier deux éléments, informe M. Ducol. Jusqu’à une certaine époque, le label de l’extrême droite était refusé par tous ces groupes qui ne s’y identifiaient pas en même temps qu’ils prônent de plus en plus un discours politiquement correct, sans appel à la haine ou à la violence ». Un refus d’association à la violence qui s’additionne avec cette logique de vouloir acquérir de plus en plus de crédibilité.

Dernier bémol : entre la présence en ligne et la présence réelle, difficile de géolocaliser et de mesurer l’importance réelle de ces différents groupes. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ils ne sont pas domiciliés uniquement dans une ville. Ils restent présents et représentés aussi bien à Québec qu’à Montréal, que dans plusieurs régions comme le Saguenay ou l’Estrie. De plus, s’il est vrai que certains d’entre eux font les manchettes de certains médias, il est à noter qu’ils sont moins actifs dans la réalité car brimés par des divisions idéologiques qui ont lieu à l’interne.

*Selon le Centre de prévention de la radicalisation, il existe actuellement au Québec entre 20 à 25 groupes d’extrême droite et entre 60 et 75 pour le reste du Canada.

Témoignage d’un ex-radicalisé « J’en voulais à tout le monde »

Photo : Maxime Fiset, courtoisie.

Maxime Fiset est l’ancien dirigeant de la Fédération des Québécois de Souche (FQS), un groupuscule qui s’identifie comme « un réseau d’hommes et de femmes, Québécois de souche, partisans du principe de l’union sacrée entre une terre et son peuple ». Les adhérents se disent nationalistes et prônent des valeurs semblables à celles portées par certains mouvements d’extrême droite, aux idéologies protectionnistes et nationalistes. En entrevue téléphonique, il se confie, parfois avec beaucoup d’émotions, sur son histoire d’ex-radicalisé.

Consultez le témoignage intégral dans notre édition du 15 février 2017, disponible auprès de votre camelot préféré(e).

 

 

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