Ceci est mon dernier texte en tant que rédactrice en chef de L’Itinéraire. Et probablement le plus difficile à écrire.
Au cours des dernières semaines, la boîte de kleenex était toujours à portée de main. La seule évocation de mon départ à la retraite imminent m’embuait les yeux. Pas que j’étais triste de tirer ma révérence, j’étais en paix avec la décision que j’ai prise il y a de ça un an. Non, c’est surtout parce que je savais que je ne partagerais plus mon quotidien avec les camelots et mes collègues qui me sont si chers. On le dit souvent, L’Itinéraire, c’est une grande famille. Et c’est vrai. C’est un milieu de travail unique, comme je n’en ai jamais connu auparavant.
Aussi, il faut dire qu’on ne se ramasse pas à L’Itinéraire par hasard. Nous avons toutes et tous dans nos vécus quelque chose qui nous a amenés ici. En plus de profondes convictions d’altruisme et d’entraide, essentielles pour durer dans ce métier, beaucoup d’entre nous avons des expériences personnelles qui font qu’on s’identifie de près à la mission de L’Itinéraire.
Il y a 10 ans, quand j’ai franchi les portes de l’organisme, j’ai tout de suite su que j’étais sur mon x. J’étais, et je le suis toujours, fière de dire que je travaille pour L’Itinéraire. Mais la première année a été semée d’embûches et pas du tout évidente. L’organisme faisait face à de gros défis. La santé financière et organisationnelle était chancelante. Une crise de leadership minait tant l’équipe que les camelots.
Il a fallu l’arrivée d’un nouveau directeur général en 2016 pour mettre de l’ordre dans la maison. Avec une équipe stabilisée, Luc Desjardins a réussi à remettre L’Itinéraire sur les rails. Les finances ont été redressées, il s’est installé un climat de travail où règne la cohésion et la solidarité. On a accru notre visibilité, multiplié les projets et formé des partenariats porteurs. Merci pour ça, Luc.
À la rédaction, le roulement de personnel a cessé et une équipe solide et soudée s’est formée. En rassemblant les talents de tous, on a revampé le magazine tant dans son apparence que dans son contenu. Un beau défi qu’on a relevé! D’ailleurs, chères lectrices et lecteurs, vous nous l’avez souligné à maintes reprises. Vos mots sont une grande source de plaisir et d’encouragement pour nous, sachez-le.
Puis est arrivée la pandémie. Et c’est là qu’on a été réellement mis à l’épreuve. En aucun moment nous avons lâché nos camelots. Nous étions en contact avec eux tous les jours, malgré la distanciation (un mot que je ne souhaite plus avoir à utiliser !). On publiait en ligne sur une base hebdomadaire, jusqu’à ce que nos camelots puissent retourner vendre dans les rues et les métros de Montréal et les alentours. Mais la Covid a eu son impact et plusieurs ont quitté les rangs. Cependant, de nouveaux visages viennent se joindre aux vétérans, qui agissent, pour beaucoup, comme mentors auprès d’eux. Plusieurs, en situation d’itinérance peuvent envisager de changer de vie, comme l’ont fait la très grande majorité de nos camelots qui s’en sont sortis.
Ici, je veux prendre un moment pour vous parler des camelots. Si, il y a 10 ans, je croyais en savoir pas mal sur eux, sur l’itinérance, la précarité, la marginalité, l’exclusion, ces hommes et ces femmes ont fait mon éducation en la matière. Et grâce au projet de rédaction des camelots sur lequel on a vraiment misé très fort, j’ai appris à les connaître de façon plus intime. Je me suis liée d’amitié avec la plupart d’entre eux. Certains, plus difficiles d’approche, parce que plus poqués par la vie, finissent quand même par s’ouvrir à nous et à participer à la rédaction. C’est tellement gratifiant et c’est ce qui fait que je ne suis jamais rentrée au travail de reculons.
S’ajoutent les bénévoles sans qui on ne pourrait pas fonctionner. Outre celles et ceux qui participent à des activités ponctuelles comme Camelot d’un jour, il y a les réguliers, les réviseurs et les accompagnatrices à la rédaction. Vous faites partie de la famille et je vous apprécie tellement!
Je crois que L’Itinéraire 2.0 est maintenant en train d’émerger. Avec les défis que sont la montée en flèche de l’itinérance, l’éventuel passage du papier au virtuel dans les années à venir, entre autres, l’organisme s’adapte et s’ajuste. Il en va de sa survie: tout est en place pour l’assurer, grâce à des gens dévoués et talentueux.
D’autant plus que la relève est très bien assurée par Karine Bénézet qui prendra les rênes du magazine.
Cette décennie à L’Itinéraire m’a permis de grandir et d’évoluer. Je quitte certes avec le cœur gros, mais aussi rempli d’amour et de reconnaissance. Je pars avec le sentiment du devoir accompli. Vous allez toutes et tous me manquer. Mais sachez que je ne serai jamais bien loin.
Vous venez de lire un article de l’édition du 1er mai 2025.