Autour du bassin central de l’ancien bain public, rues Atateken et Ontario, aujourd’hui Écomusée du fier monde, on se promène d’époque en époque, de publicités en vieux livres de recettes. Le musée de la mémoire du Centre-Sud, témoigne, jusqu’au 6 mars prochain, de l’histoire du pain et de son évolution à travers Tranches d’histoire : Pain et boulangeries à Montréal. Ravivant par là-même les souvenirs du pain livré à domicile, du pain de ménage ainsi que du basculement de cet art ancestral vers l’industrialisation. L’exposition retrace également les enjeux d’un métier artisanal qui peine à se revitaliser.

En entrevue pour L’Itinéraire, Éric Giroux, directeur de L’Écomusée du fier monde et commissaire de l’exposition Tranches d’histoire: Pain et boulangeries à Montréal, regrette qu’avec la pandémie, trois années de recherches n’aient pas suffi à creuser toutes « les pistes à explorer » sur l’histoire du pain. Si l’historien proposerait volontiers un volet deux à l’exposition, on en retient pour le moment l’importance du pain au quotidien, et le chemin ayant conduit ce produit vital de la boulangerie de quartier à l’industrie.

En quoi l’industrie du pain marque-t-elle le Centre-Sud de Montréal ?

Dans le Centre-Sud, plusieurs entreprises de transformation alimentaire ont laissé des traces dans le paysage. Il y a eu plusieurs petites boulangeries artisanales dont on ne soupçonne plus aujourd’hui parce que leurs anciens fours ont été détruits. Il y a eu également une grande industrie : Pain Moderne Canadien. C’était vers 1930. Elle était située sur la rue Papineau juste un peu avant Sherbrooke. Après un incendie dans les années 1980, l’usine est restée vide deux ou trois ans puis la compagnie a vendu le bâtiment, aujourd’hui converti en condos.

Il y a également eu une grande minoterie, Ogilvie (identifiable dans le décor montréalais par le panneau lumineux Farine Fives Roses).

Comment s’organisait la vie de quartier autour du four à pain avant l’industrialisation ?

Autour des années 1 800, on a des maîtres boulangers et des petites boulangeries. Ils s’approvisionnent dans des moulins, aux alentours de Montréal. Il y a alors une bonne production de blé, suffisante pour nourrir la population locale.

Dans les zones rurales, on devine que les voisins, souvent la famille proche, devaient se partager le four à pain. Mais dans les petits villages, je pense que les gens n’en possédaient pas toujours un. On avait un petit noyau villageois avec un boulanger qui livrait chez les habitants.

À Montréal, les gens ne fabriquaient pas leur pain, par manque d’espace. J’ai lu dans un journal que toutefois, une grande propriété pouvait avoir son propre fournil, alors utilisé par des domestiques. Mais ce sont principalement les boulangers qui assuraient la distribution à domicile de cet aliment très important, un aliment pour survivre.

À la fin du 19e, siècle, la ville se densifie. La population locale augmente et beaucoup de gens de la campagne s’installent à Montréal. On se met à construire des duplex et des triplex. On peut faire le pain dans la cuisinière à la maison, mais l’effort que ça demande est important. Ça monopolise le four qu’il fallait fortement préchauffer. Ça demande probablement pas mal d’énergie, coûteuse à l’époque. Il devient alors plus économique de faire livrer son pain. Avec l’industrialisation, les boulangeries se développent dans les quartiers et leurs tailles se diversifient. Il y a les boulangeries qui ont quelques centaines de clients et des entrepreneurs en particulier qui se démarquent. Eux disposent de trois ou quatre fours à pain dans le même bâtiment. Les grandes et les petites boulangeries cohabitent. Puis tranquillement vont apparaître les minoteries.

… et les boulangeries ont décliné. Quand le tout a-t-il basculé pour ces artisans-boulangers ?

Avec les guerres mondiales, la production de céréales en Europe va décliner. L’Europe aura alors des besoins en céréales très importants. Et elle va s’adresser au Canada. Là, les grandes minoteries canadiennes vont moderniser leurs installations pour produire de plus en plus de farine et l’exporter. À la fin de la Première Guerre, la production va reprendre tranquillement, et dans les années 1920 la demande va baisser. Seulement les minoteries sont dorénavant capables de produire beaucoup de farine. Elles développent alors différentes stratégies pour augmenter leurs ventes comme l’édition de livres de recettes de pain, de tartes, etc., à l’effigie de leurs marques. Certaines vont se dire que pour écouler leur production il serait stratégique d’acheter les boulangeries locales, et d’en créer de nouvelles. À Montréal, ils ont d’abord acheté celles du côté anglophone, qui étaient très stables, avec une clientèle plus riche. Puis, ils ont acheté à l’Est, en milieu francophone.