Si on brosse le portrait de la population la plus appauvrie au Québec, les anglophones y sont représentés à 16 % ayant le taux de faible revenu le plus bas par rapport à 13 % pour leurs homologues qui ont le français comme langue maternelle, révèle une enquête de l’Association d’études canadiennes (AÉC). Chez les allophones, soit ceux qui ont une autre langue que le français et l’anglais, la proportion s’élève à 23 %. Le visage de la pauvreté a-t-il une langue au Québec ?

« Oui il y a un visage linguistique de la pauvreté depuis des décennies, incluant aussi les minorités visibles, estime Richard Bourhis, professeur du département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Les anglophones vivent cette réalité que les Québécois francophones ne perçoivent pas étant donné le peu de contact interculturel entre les deux communautés, hélas… Il est difficile pour la majorité francophone d’aujourd’hui d’accepter qu’ils constituent maintenant la majorité dominante la plus favorisée économiquement au Québec, car la rhétorique nationaliste préfère encore représenter les francophones comme une majorité fragile linguistiquement et moins riche que la minorité anglophone « riche de Westmount » ».

Préjugés sociaux

Doit-on contester le préjugé selon lequel la population anglophone est moins vulnérable ? « Absolument ! La tendance selon laquelle les anglophones sont la minorité la mieux traitée au monde sert à masquer les besoins de certains éléments de la communauté. Il y a malheureusement une méconnaissance de la communauté anglophone notamment dans sa diversité ethnique et raciale ainsi que régionale. La communauté a beaucoup évolué depuis 30 ans comme d’ailleurs l’ensemble de la population du Québec », affirme Jack Jedwab, président de l’AÉC.

Nouveaux arrivants anglophones

Les nouveaux arrivants grossissent les rangs de la population anglophone, englobant par le fait même les minorités visibles. Cette proportion élevée forme-t-elle la raison de leur situation de pauvreté ? « Assurément, ça fait partie de cette réalité, comme j’ai démontré dans l’étude que les taux de faible revenu sont plus élevés chez certaines minorités visibles », note M. Jedwab. « Les minorités visibles et les immigrants du Québec et de Montréal sont les plus pauvres au Canada par rapport à ceux des autres grandes villes comme Toronto, Vancouver, Calgary », mentionne M. Bourhis.

Bien que la population du Québec soit composée de 78,9 % Québécois francophones, il demeure qu’il y a un plus grand nombre de pauvres francophones en terme absolu ; les anglophones constituent seulement 8,3 % de la population québécoise, alors que les allophones représentent 12,8 % de la population, selon les données du recensement du Canada de 2016. De plus, on peut compter un plus grand nombre de chômeurs chez les anglophones (8,2 %) et les allophones (9,9 %) que chez les Québécois francophones majoritaires : 6,2 %.

Perceptions erronées

Si l’histoire nous a appris à considérer les francophones comme un peuple colonisé et les anglophones comme une élite riche, cette perception a toutefois bien changé. « Je sais qu’il existe toujours une perception que les anglophones sont une élite riche. Il y a toujours eu une petite minorité d’anglophones qui profitent de cette situation, mais même historiquement c’était une petite portion de la population anglophone », indique Lorraine O’Donnell, professeure adjointe affiliée de l’École des affaires publiques et communautaires de l’Université Concordia.

Le déclin démographique des Anglo-Québécois dans les trente dernières années a abouti à la fermeture d’un nombre important d’hôpitaux qui offraient des services en anglais, ce qui n’a fait qu’aggraver l’érosion du soutien institutionnel anglophone.

Exode inquiétant ?

Il y a un exode des anglophones québécois du Québec depuis le recensement de 1966 jusqu’à celui de 2011 : le bilan migratoire interprovincial net est calculé avec les données du recensement : les arrivées des anglophones du Canada au Québec, moins les départs des Québécois anglophones du Québec. Cette perte nette, qui est connue comme étant l’exode, équivaut à – 300 000 chez les anglophones québécois au cours de la période s’échelonnant de 1966 à 2011.

« Le départ des 300 000 anglophones du Québec est une perte de capital humain pour les communautés anglophones du Québec (déclin de l’entrepreneuriat, les sciences de la santé, les technologies, les sciences, la philanthropie, culture) et une perte en général pour l’économie du Québec. Ces Québécois anglophones ont beaucoup contribué à l’épanouissement économique, scientifique et culturel des villes de Toronto, Calgary… Ces exodes demeurent une perte sèche pour Montréal qui a décliné économiquement par rapport à ces autres villes. Les recherches démontrent que les anglophones qui sont partis étaient les plus performants professionnellement et économiquement dans leurs communautés, car leurs candidatures pour des emplois en Ontario et Alberta du Reste du Canada (ROC) ont été retenues malgré la forte compétition des autres anglophones et allophones du ROC. Les Anglophones qui sont partis ont des meilleurs salaires et un meilleur taux d’emploi que ceux qui sont restés au Québec », constate M. Bourhis.