Rarement la Défense nationale a-telle autant été au cœur des discussions. Entre les 63 milliards $ d’investissement annoncés pour l’année 2025-2026, la création de l’Agence de l’investissement pour la défense pour l’approvisionnement militaire et l’engagement des entreprises québécoises dans la course à la modernisation, les annonces se multiplient depuis le début de l’année. De passage à Montréal, la cheffe d’étatmajor de la Défense, Jennie Carignan, s’est arrêtée à L’Itinéraire pour parler des grands bouleversements géopolitiques et des transformations en cours au sein des Forces armées canadiennes. Elle s’est également entretenue avec Joseph Clermont Mathurin, camelot de L’Itinéraire et ancien militaire.

Un virage historique

Fin juin, le premier ministre Mark Carney a annoncé son intention de porter les dépenses militaires à 5 % du PIB – soit plus de 150 milliards $ étalés sur 10  ans. Une annonce historique pour les Forces armées canadiennes (FAC), qui n’avaient pas connu un investissement d’une telle ampleur depuis la Seconde Guerre mondiale. Ces fonds serviront à moderniser les infrastructures, renouveler le matériel, améliorer l’entraînement et, surtout, renforcer le recrutement et la rétention de personnel. S’il est dit que ce financement majeur vise à redorer le blason de l’Armée canadienne et à dissuader d’éventuels adversaires, il doit surtout permettre au Canada de réagir plus rapidement en cas de crise.

« On est beaucoup plus vulnérables qu’il y a 10 ans », admet la générale Carignan d’entrée de jeu. Force est de constater que les moyens des FAC ne sont plus adaptés aux réalités de sécurité mondiale de 2025. Les avancées technologiques des adversaires, combinées à une volonté d’utiliser la force, comme le démontre la Russie envers l’Ukraine depuis plus de trois ans, redessinent les rapports internationaux. « L’ordre international vacille sous la pression de régimes autoritaires de plus en plus enclins à recourir à la violence », indique le plan stratégique de l’équipe de modernisation de l’Armée, qui souligne également que « le Canada est confronté au risque le plus important d’être impliqué dans un conflit international majeur depuis la fin de la guerre froide ».

Les nouveaux fronts du Canada

Pour la générale Carignan, la menace est désormais multidimensionnelle et beaucoup plus floue qu’autrefois. « Ce n’est plus seulement militaire, on parle de guerre hybride », explique-t-elle. Une guerre hybride englobe à la fois la désinformation, les tactiques subversives qui restent sous le seuil du conflit et les manœuvres destinées à déstabiliser les démocraties. Ces stratégies s’accompagnent également d’un arsenal militaire capable de frapper beaucoup plus loin.

« La Russie, la Chine, la Corée du Nord sont tous dotés de missiles qui peuvent atteindre n’importe quel centre urbain au Canada, détaille la générale, il faut donc s’assurer d’avoir des censeurs en place pour détecter ce qui peut s’en venir, mais aussi d’être en mesure de se défendre contre ce type de menace. »

C’est aussi dans le nord du pays que beaucoup se joue. Des acteurs étrangers accentuent leur présence dans l’Arctique, se disputant routes commerciales et ressources naturelles encore inexploitées. Pour contrer cette pression, les Forces armées canadiennes doivent rester présentes et visibles, capables à la fois de dissuader, de soutenir leurs alliés et d’intervenir au besoin. Les changements climatiques font aussi grimper les appels aux FAC.

« On est de plus en plus sollicités pour aider les autorités locales lors de feux de forêt, d’inondations ou d’autres catastrophes, explique la générale Carignan, cette année marque déjà notre deuxième année record de déploiements. La demande devrait rester élevée, et nous explorons différentes options pour y répondre, mais nous resterons prêts. »

Vous venez de lire un article de l’édition du 1er novembre 2025.
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