Lorsqu’on pense à des religieuses, on a l’image de sœurs pieuses, soumises, effacées. Mais pas les Soeurs Auxiliatrices. Non monsieur ! Elles sont les pionnières du travail social, des féministes avant l’heure, dealant avec des paumés, des drogués et autres poqués de la vie. Et elles ne donnent pas leur place sur une patinoire comme joueuses de hockey non plus !

Les Soeurs Auxiliatrices ont mené plusieurs luttes sociales au Québec et à travers le monde. Arrivées à Granby il y a 75 ans, elles ne sont plus que six aujourd’hui. Six sœurs militantes dans la quatre-vingtaine qui poursuivent leur engagement social pour le droit des femmes et des personnes défavorisées, jusqu’au bout, jusqu’au dernier souffle.

Notre camelot Manon Fortier s’est entretenue avec l’une d’entre elles, à la résidence Mont-Carmel à Montréal, où elles résident maintenant.

Granby, avril 1949. Cinq femmes en tunique noire se déplacent en vélo dans les rues de la ville. Elles sont nouvellement installées dans une maison de la rue Leclerc, un petit quartier résidentiel. Ce sont les Soeurs Auxiliatrices. Féministes et militantes à l’intérieur de l’institution catholique, elles ont été de toutes les luttes sociales du Québec — et du monde — des sept dernières décennies.

Elles ont surtout contribué à l’essor des services sociaux et communautaires tels que nous les connaissons aujourd’hui. Les soins à domicile, ce sont un peu elles. L’ancêtre de la Régie de l’assurance médicament du Québec? Elles l’avaient pensé et créé bien avant. Un centre de désintoxication? Pensez à Drogue Secours, ce sont elles, en 1971. Ce sont aussi les Auxiliatrices qui ont développé le service des popotes roulantes en français. Il y a même une travailleuse sociale qui est devenue une vedette du hockey et qui a contribué à l’essor du hockey féminin. Mais leur premier grand combat a été celui de mettre sur pied, et de faire accepter par le voisinage, une maison de transition pour les détenus de la prison de Cowansville, début des années 70.

L’histoire des «Auxis», comme elles s’appellent entre elles, n’en finit pas d’étonner. Plus nombreuses par le passé, elles ne sont aujourd’hui plus que six, octogénaires, et le chapitre des Soeurs Auxiliatrices du Québec s’éteindra avec elles.

Une rencontre

Quand soeur Nicole Jetté n’arrivait pas à joindre notre camelot Manon Fortier à L’Itinéraire, elle est tout simplement venue en personne sonner à la porte. Heureux hasard, Manon y était ce jour-là d’automne. Notre camelot, fascinée depuis longtemps par la vie des religieuses, a pu se poser au coin d’une table avec Mme Jetté pour démystifier la vie de sœur, mais surtout, discuter féminisme et spiritualité.

Manon raconte: « Même si la vie m’a écrasée, j’ai toujours eu le don de m’en remettre, tel un chat qui retombe sur ses pattes. Je suis croyante pour une raison personnelle. Le mal, l’opportunisme, la vie qui nous magane, les autres aussi, le mensonge, ce sont les modèles que j’ai connus dans ma famille. Je ne voulais pas ressembler à ma mère. Je voulais prendre une bonne direction, avoir de bonnes valeurs et bien réfléchir au chemin que j’allais emprunter. La vie de sœur a commencé à m’intriguer à cette époque puisqu’elle m’apportait beaucoup de réponses positives. Je n’ai jamais concrétisé ce désir d’entrer en communauté, malheureusement. »

Ce fut le début d’une longue conversation entre les deux femmes qui s’est traduite par une autre rencontre, en février cette fois-ci, chez soeur Jetté. Voici quelques passages de ce long entretien.

Bonjour soeur Jetté. Dans quelles circonstances êtes-vous entrée chez les Auxiliatrices? Comment avez-vous senti l’appel?

Ouf! On peut en avoir pour longtemps (rires). Après avoir eu ma sœur aînée, ma mère a mis deux ans avant d’avoir un autre enfant, mon frère. Le clergé exigeait que les femmes aient des enfants chaque année. C’est pourquoi ma mère s’est vue refuser la communion parce qu’elle n’avait pas été enceinte immédiatement après cet accouchement. Moi, je suis née seulement 11 mois après mon frère. Elle ne voulait pas vivre le même rejet.

Ma mère avait épousé un veuf qui avait déjà cinq enfants et j’étais la petite dernière d’une fratrie de huit, après ma sœur et mon frère. Quand je suis née, ma mère est allée à l’église s’agenouiller devant l’autel pour demander à Marie, la femme de référence dans sa vie, de s’occuper de moi. Elle n’avait pas le temps.

Alors dès ma naissance, je pense qu’il y a quelque chose-là. Ma grand-mère paternelle voulait que je devienne sœur, ma mère non. Elle ne trouvait pas ça valorisant du tout après ce qu’elle avait vécu avec les curés. J’ai vécu plusieurs années en étant partagée entre ces deux avenues.

J’ai étudié, j’ai fait mon école normale. Si j’ai pu faire mes études, c’est grâce à mon frère qui est resté sur la ferme pour aider et pour me permettre de m’instruire. J’avais une dette envers mon frère. Je voulais lui donner un montant d’argent de manière symbolique. J’ai donc trouvé un emploi comme enseignante en 7e année, dans un pensionnat à Granby.

À cette époque je faisais partie d’un groupe de spiritualité qui tournait autour du «discernement», prendre le temps de réfléchir, de respirer. Je cherchais à faire une retraite pendant le temps pascal avant d’entrer en communauté religieuse l’automne suivant. C’est comme ça que j’ai entendu parler des Soeurs Auxiliatrices de Granby, qui offraient des retraites individuelles.

Je suis retournée enseigner un an par la suite et je me souviens qu’après cette année scolaire j’étais complètement vidée. Je m’étais battue avec la direction pour offrir aux garçons de 11 à 15 ans, à qui j’enseignais, quatre groupes adaptés à leurs besoins. Il fallait que ce que j’enseigne ait du sens pour ces jeunes garçons qui étaient destinés à travailler sur la ferme. Comment est-ce que je pouvais leur enseigner quelque chose de réellement utile? La direction n’aimait pas le changement, mais j’ai eu l’appui des parents. Après cette année d’enseignement, je suis retournée en retraite chez les Auxiliatrices. J’avais apprécié mon expérience de retraite, alors je me disais : «pourquoi pas?».

J’avais un contrat d’enseignement en septembre, je ne pensais jamais devenir sœur. Mais un soir, j’ai entendu les rires de la communauté rassemblée. Je me suis dit: « Ce rire-là, c’est ça que je veux partager ». Je suis entrée en communauté sans savoir ce que les Soeurs Auxiliatrices faisaient, c’est le rire qui m’a attirée. En septembre je suis restée parmi elles. Quand j’ai annoncé ça à ma mère, elle a éclaté en sanglots. Pour elle, la religion…

Quand vous êtes venue nous voir à L’Itinéraire en octobre, vous nous avez parlé des débuts des sœurs à Granby, notamment avec les ex-détenus de la prison de Cowansville. Quel rôle les Auxiliatrices ont-elles joué auprès d’eux?

La communauté est arrivée à Granby en 1949 et la maison de transition, c’était en 1974. Moi, je suis arrivée en 1964. Le pénitencier avait demandé à notre communauté d’explorer les besoins pour mettre en place une maison de transition. C’était un projet pilote qui devait inclure quatre résidents et durer six mois. Il n’en existait pas beaucoup des maisons de transition, à l’époque, au Québec. Il fallait faire l’expérience. On travaillait avec du personnel des libérations conditionnelles à la maison mère.

Est apparue à ce moment une longue lutte juridique avec les voisins qui ne «voulaient pas ça dans leur cour». Les services correctionnels voulaient installer la maison de transition au centre-ville de Granby par la suite. C’était la peur de la différence…

Ç’a duré sept ans, finalement. On s’est battues ! Nous, on n’a jamais eu l’idée que notre maison devienne une maison de transition de façon permanente, c’était uniquement un lieu pour faire un projet pilote.

Moi j’étais plus présente à l’interne, on n’avait pas énormément de personnel, j’étais toujours avec eux. On me demandait souvent si j’avais peur. Je me faisais respecter. Mais si on n’arrivait pas à établir une relation de confiance, j’avais le pouvoir de les retourner au pénitencier.

Vous venez de lire un extrait de l’édition du 1er mars 2023. Pour lire le texte intégral, procurez-vous le numéro de L’Itinéraire auprès de votre camelot.