Le chorégraphe, interprète et metteur en scène, a l’habitude d’animer des ateliers de médiation culturelle avec des personnes âgées et des jeunes. Je l’ai rencontré pour en savoir davantage sur le spectacle L’école buissonnière, qui sera présenté à la Tohu à la fin octobre.
Pierre-Paul Savoie a fondé sa propre compagnie de danse contemporaine, PPS Danse, en 1989. Il a étudié la danse moderne à l’Université Concordia et le théâtre à l’école nationale de théâtre du Canada. La compagnie a présenté à ce jour une vingtaine d’œuvres en Amérique du Nord et en Europe, pièces marquées par l’interdisciplinarité dans leur forme et par l’humanité dans leur contenu.
Le spectacle L’école buissonnière parle de la marginalité des jeunes. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
L’inspiration m’est venue des textes de Jacques Prévert, un poète et écrivain marginal. Le modèle d’apprentissage de l’école ne lui convenait pas, c’était un enfant qui préférait regarder par la fenêtre plutôt qu’apprendre. Le personnage s’exprime par rapport à l’enfant qu’il était. C’est devenu le thème central de la pièce. Je l’ai créée du point de vue d’un enfant qui aime dessiner, c’est son moyen d’expression préféré. L’enfant est marginalisé par les autres, car c’est un cancre. On parle d’un questionnement sur la norme sociale. Il va finir par se libérer des autres pour assumer sa marginalité. Par sa créativité, il rehausse son estime de soi.
À quoi ressemble cette pièce ?
Il y a quatre personnages dans la pièce : la première de classe, celle qui voudrait l’être, un autre aux prises avec des difficultés d’apprentissage et l’artiste en devenir. Le spectacle est conçu à partir d’un collage de textes de l’écrivain français. Dans la pièce, on a amplifié un long tableau et on a placé des micros à l’arrière. Quand on y écrit, les spectateurs entendent le bruit du mouvement du crayon. Ceci crée alors une rythmique et tout ça génère une musique. Les danseurs récitent des textes de Prévert. Ce qui m’intéresse, c’est d’apporter aux enfants des textes qui ne sont pas du Walt Disney et qui suscitent un questionnement sur les conventions établies. Les chanteurs Alexandre Désilets et Amylie interprètent en chanson les textes de Prévert mais n’apparaissent pas lors du spectacle. Les danseurs chantent aussi.
Pourquoi avoir choisi Jacques Prévert ?
L’auteur a écrit des textes pour Boris Vian, Yves Montand l’a chanté. Il apporte une voix très singulière aux enfants, leur permettant de voir le monde d’une manière différente. Il se démarque par un contenu social « irrévérencieux », il leur donne un pouvoir, car les enfants dans notre société n’ont pas de pouvoir économique. L’écrivain essaie de leur montrer que ce n’est pas parce que les adultes sont plus grands qu’ils font toujours bien les choses. Ce ne sont pas les enfants qui font les guerres. Prévert a dit : « Les enfants sont des philosophes d’une grande importance », parce qu’ils permettent d’apporter au monde leur capacité d’émerveillement. Regarder les enfants permet aux adultes et aux artistes de ne pas oublier leurs origines.
Vous vous dites artiste multidisciplinaire, pouvez-vous nous en dire davantage ?
Pour moi, un artiste est quelqu’un qui peut prendre n’importe quelle discipline artistique et se déployer, en s’essayant au chant, au jeu et au mouvement. Toutes les formes de création m’intéressent. Il y a celles que je maîtrise mieux, d’autres moins. Je m’intéresse au théâtre, à la chanson, aux arts du cirque, à la musique et la poésie. D’une certaine manière, je m’efforce d’utiliser ces médiums ; même si je ne les maîtrise pas, ils m’intéressent comme matériaux de création. Parfois c’est la danse qui va prédominer, parfois c’est la musique. Je combine tout ça, tout en privilégiant le médium du mouvement comme langage principal.
Beaucoup de camelots ont vécu dans la marginalité et l’exclusion. Est-ce que vous avez vécu plus jeune ce genre de situation ?
J’ai été chanceux. écrire a été pour moi une libération. J’ai eu des outils pour sortir de ma marginalité. Avec les arts, j’ai appris comment prendre parole et m’exprimer. J’ai constaté le pouvoir d’exprimer ce que j’avais à l’intérieur. J’aime rire, j’aime m’amuser. Selon moi, il y a la réalité et il y a l’imagination. Je préfère déformer la réalité pour m’amuser. Donner une voix aux exclus m’intéresse, je suis attiré par les causes sociales. Pour moi, chaque être humain a une valeur. Dans mon œuvre il y a une partie de moi qui est travailleur social ; d’ailleurs, deux de mes sœurs exercent la profession.
Vous avez animé des ateliers de médiation culturelle. Pourquoi avoir choisi cette façon de faire ?
Cela fait depuis 25 ans que j’anime de tels ateliers. Une année on a donné 300 ateliers en tout. On rencontre énormément de gens. En 10 ans, j’ai probablement rejoint de 10 à 15 000 personnes. Je crée des œuvres, mais je suis intéressé à discuter de mes créations avec les gens. Souvent, quand je crée une œuvre, je commence déjà à montrer une ébauche de mon travail, dans le but d’obtenir un feedback. Je fais de la médiation culturelle auprès de diverses clientèles : personnes âgées, enfants, personnes vivant dans les HLM, personnes ayant un handicap. On adapte nos ateliers à leurs besoins. En tant qu’artiste, j’ai vraiment besoin de rencontrer le public et d’établir un dialogue avec les gens. Je ne suis pas satisfait si je ne sais pas comment réagissent les gens après le spectacle. C’est aussi ma volonté de démocratiser la danse contemporaine, de contribuer à éduquer le public, de leur faire vivre une expérience de savoir ce que c’est être danseur.
Quels sont les défis ?
Il faut savoir communiquer. Selon moi, il faut que la médiation culturelle soit une expérience positive. Je n’ai pas de favoris, je prends tout le monde à son niveau. Arriver à faire ça, c’est là le défi. Gagner la confiance des gens. S’ils ont confiance en moi, ils peuvent se libérer. Quand on crée, ça résulte en une expérience positive et le regard sur soi change. Créer, c’est poser un geste et aller chercher à l’intérieur de soi.
Vous avez animé auprès des personnes âgées et des jeunes. Souhaitez-vous rapprocher les générations ? Pourquoi ?
Pour un projet intergénérationnel, j’ai utilisé une pièce d’Ionesco, Les Chaises. Je l’ai lu et je me suis dit : « Quelle belle idée ! », les enfants et l’absurde… Il y a de l’absurde dans leur jeu. Avec cette pièce, je me suis dit que c’était une façon excellente de faire la rencontre de jeunes et de personnes âgées. J’ai présenté le projet dans les écoles et j’ai aussi été dans une résidence. Je croyais que les aînés ignoraient ce qu’est l’art contemporain et qu’ils manquaient d’ouverture. ça s’est avéré tout le contraire. J’ai gagné leur confiance. J’ai réussi à les faire improviser et à se présenter devant un public. Les aînés pensent qu’ils ne contribuent plus à la société, mais grâce au projet, ils ont découvert leur capacité de créer et d’agir. Ils n’attendaient plus la mort. Plus tard, j’ai provoqué la rencontre les deux générations. Je suis allé présenter à des jeunes de 14 ans une vidéo avec des personnes âgées, tout en me demandant ce qui allait se passer. C’était le silence. Ils ont été touchés. Et les personnes âgées sont sorties de là grandies, émues de ce que les jeunes avaient pensé de leur prestation. Au-delà de juste créer une œuvre, j’essaie de provoquer le dialogue et l’échange. ça m’intéresse d’aller vers ceux qui n’ont pas accès à l’art, car toute personne possède un potentiel créatif. Les personnes vivant dans les HLM sont elles aussi marginalisées et isolées. Vu leur faible revenu, elles n’ont pas les moyens financiers leur permettant d’aller voir des spectacles.