La photo est bouleversante: une vue aérienne du Théâtre dramatique de Marioupol, où un millier de personnes avaient trouvé refuge, montre le mot ENFANTS écrit en grosses lettres cyrilliques blanches autour de l’édifice pour implorer les Russes de ne pas le bombarder. Ils l’ont fait quand même. Au moment d’écrire ces lignes, le bilan des morts était encore incertain. Mais une centaine de personnes ont pu être extirpées vivantes des décombres.

Cette invasion insensée fait peur au monde entier. Mais on ne peut que deviner la terreur et l’angoisse que vivent les Ukrainiens tous les jours.

Je suis entrée en contact avec mon collègue, le journaliste indépendant Christopher Curtis par vidéo Messenger à la mi-mars. Il s’apprêtait à revenir au Québec après une dizaine de jours en Pologne et en Ukraine. Lorsque je l’ai joint, il était étendu sur le lit de la petite chambre qu’il avait loué en Pologne, l’air fourbu, mais content de me parler.

– Je ne te garderai pas trop longtemps, tu as l’air épuisé.

– Non, en fait c’est une bonne journée. J’ai pu dormir. Et demain j’entreprends le voyage pour rentrer à la maison.

– Comment s’est passé ton périple ?

– Ç’a été un voyage extraordinaire, mais tellement épuisant, parce que ton cerveau est toujours en alerte : souviens-toi de ceci, n’oublie pas cela… Et puis, tu essayes de communiquer dans une langue que tu ne connais pas. Une chance que j’avais mon interprète Dan, avec moi presque tout le temps.

– Tu étais à Lviv, décris-moi ce qui s’y passe.

– On était en relative sécurité, mais il y a eu un raid aérien dans une ville à l’est d’ici. L’aéroport a été frappé, on entend les sirènes… Apparemment, il y a eu des tentatives d’interception des missiles, mais c’est difficile de savoir quoi croire en temps de guerre.

Il y a des postes de contrôle partout. Il y a un couvre-feu. La vente d’alcool est interdite. On n’y voit pas de soldats russes, bien qu’on aperçoit des tanks en périphérie.

– Comment les Ukrainiens vivent-ils la situation ?

– Les gens sont habitués à la tension. Ils s’attendaient à ça de la part de Poutine qui a interféré deux fois dans les élections, et ils ont connu la guerre quand la Russie a pris la Crimée, il y a huit ans. Ils sont désensibilisés je dirais. Mais personne ne s’attendait à une invasion de la sorte. Il y a beaucoup de paranoïa dans l’air. Les gens sont gentils, mais ils se méfient des personnes qu’ils ne connaissent pas. Et oui, ils ont vraiment peur.