Par Charles-Éric Lavery
Chef du développement social

Je viens de croiser l’un de nos camelots, près du métro Mont-Royal. Journée de froid extrême même si on est en mars, je crois même qu’on vient de battre un record vieux de 45 ans. Je peine à marcher, la barbe qui congèle, trop hâte d’arriver au métro. Lui, il a le sourire fendu jusqu’aux lèvres. « Bonjour Charles ! », qu’il me lance, l’air heureux, ne semblant pas réaliser qu’il fait environ moins quarante dehors.

Parmi nos chers et chères camelots, je ne peux plus compter ces moments incroyables, inspirants, qui bouleversent mon idée du bonheur. J’en vis chaque jour, comme je le lis fréquemment dans les petits mots que vous nous envoyez fréquemment à leur intention. Le bonheur, c’est quoi? Comment faire pour l’atteindre? Suis-je heureux? Qu’est-ce qui me fait du bien? À l’aide! C’est quoi la recette miracle? Devrais-je arrêter de me poser toutes ces questions?

Je l’avoue, même si cette quête du bonheur, d’un idéal, d’un rêve, de l’accomplissement de soi, comme le disait Maslow, n’occupe pas constamment mon esprit, elle influence, comme pour plusieurs d’entre vous, mon regard sur moi-même et le monde qui m’entoure. Chercher le bonheur, c’est notre nouveau mantra.

Bonheur, t’es où?

Certains – comme l’illustre bien le documentaire La dictature du bonheur diffusé à Télé-Québec -, tentent de trouver des réponses à leurs questions dans un livre ou auprès de l’un de ces fameux gurus de la satisfaction et la motivation personnelles. Ce n’est pas encore une religion… mais c’est déjà une énorme industrie! Est-ce que la fabrique à bonheur produit des gens heureux? Existe-t-il un mode d’emploi pour trouver le bonheur, une recette miracle?

Moi, ce n’est ni dans les livres ni grâce à un conférencier que j’ai trouvé le bonheur pour la première fois. C’est à l’autre bout du monde, en Afrique de l’Ouest. En 2009, j’y ai côtoyé des personnes inspirantes, qui avaient peine à se procurer de l’eau potable, assez de nourriture pour survivre et des moyens de guérir leurs fréquents problèmes de santé. Mais malgré tout, ils étaient heureux. Et ils semblaient l’être plus qu’ici.

Cette expérience m’a bouleversé. Je croyais jusque-là que le bonheur n’était, certes, pas dicté par l’argent. Mais je me disais que si je me trouvais un travail passionnant, une femme dont je serais éperdument amoureux, des enfants, une voiture et une maison, je me rapprocherais certainement du bonheur. Hélas, ce n’était pas la formule magique.

D’ailleurs, l’ONU est aussi tombée dans le panneau avec son dernier Rapport annuel sur le bonheur, La majorité des pays les plus heureux sont des démocraties occidentales, la quasi-totalité des pays africains se plaçant bons derniers.

L’ONU peut-elle vraiment établir des paramètres du bonheur? Le bonheur dépend-il de critères précis?

Arrêter de chercher

Depuis que je suis arrivé à L’Itinéraire, en 2014, je réalise que non. Nos camelots m’ont appris et m’apprennent encore, sans le savoir, une leçon fondamentale : il faut arrêter de constamment chercher le bonheur.

Je ne peux vous raconter toutes les histoires qui m’ont convaincues, qui m’ont permis de réaliser que la question de notre satisfaction personnelle, de l’atteinte d’un rêve, d’un idéal, est superflue. Il faut plutôt se concentrer sur le quotidien, sur les petits moments qui sont pourtant les plus importants.

De nombreux camelots avaient un emploi et un revenu stable, une famille, des enfants, et ont vécu une malchance comme un burnout, un divorce ou une expérience traumatisante. Oui, il faut le dire : ça peut arriver à tout le monde, et ça peut surtout arriver n’importe quand, même quand on s’y en attend le moins.

Sont-ils ou elles moins heureux ou heureuses aujourd’hui? Quand je croise Jean à son point de vente, un grand sourire aux lèvres malgré le froid intense, je ne peux répondre que non. Tout comme quand je vois France en train de jaser avec l’un de ses clients. (Voir la vidéo) Quand je suis témoin de la fébrilité qui habite Luc lorsqu’il fait une entrevue avec le réalisateur Podz, qu’il admire énormément, je ne peux répondre que non.

Repensons donc le bonheur, et pensons à ces rencontres qui habitent notre quotidien. Merci à vous, chers lecteurs et chères lectrices, à tous ceux qui s’arrêtent pour parler à nos camelots, d’être ce bonheur.