Elle était une femme formidable. Elle a élevé cinq enfants, tout en exerçant sa profession d’infirmière, jusqu’à ce que ses troubles mentaux la forcent à abandonner ce travail qu’elle aimait tant.
C’est qu’elle a commencé à éprouver des dépressions peu après la naissance de sa petite dernière. Les « dépressions nerveuses », comme on les appelait à l’époque, se sont accentuées avec le temps et la plongeaient dans un état psychotique. Elle entendait des voix et pouvait avoir des comportements complètement erratiques. Elle était hospitalisée à raison d’une ou deux fois par année pendant des périodes plus ou moins longues. Quand on est enfant, et qu’on vit ça de près, c’est très perturbant.
D’autant plus qu’à cette époque, à la fin des années 1960, la maladie mentale c’était tabou. On n’en parlait pas. C’était même honteux. Et les traitements étaient souvent expérimentaux, comme c’était son cas, elle qui a servi de cobaye en médecine psychiatrique.
Formidable, je vous disais, parce que, malgré sa maladie grave et chronique, elle a continué de mener une vie active. Elle s’est trouvé un boulot qui n’avait pas un impact émotif aussi grand que celui d’infirmière et elle s’est occupée de ses enfants au meilleur de ses capacités. Elle a dû faire une bonne job, parce qu’ils s’en sont tous bien sortis dans la vie. Ça s’appelle de la résilience. Ça s’appelle aussi de l’amour. Ma mère n’a pas eu une vie de tout repos, mais elle est morte paisiblement bien entourée de ses enfants, en 2002.
Accepter ou rejeter
Grandir avec un proche qui souffre de maladie mentale n’est pas facile. Ça été vrai pour moi et c’est aussi vrai pour des centaines de milliers de gens qui ont vécu ou vivent la même situation. La maladie mentale, surtout quand elle est mal comprise, est déroutante. Si certaines personnes se serrent les coudes et font tout pour appuyer celui ou celle qui en souffre, d’autres sont complètement démunies devant un être aimé qui vit dans une réalité parallèle, s’emmure dans le silence ou a des comportements dangereux pour lui ou autrui.
Certains vont rejeter systématiquement une personne aux prises avec des troubles mentaux. À cause de l’ignorance, à cause de la peur.
Et c’est ça qu’il faut changer, je crois. Comment ? En en parlant, en s’informant, en lisant sur la maladie, en consultant des spécialistes. En évitant certaines réactions ou commentaires comme : « Faudrait que tu te reprennes en main ». Croyez-moi, si c’était aussi facile que ça, la personne qui souffre de troubles mentaux le ferait !
On parle d’une personne sur cinq qui sera aux prises avec une maladie mentale au cours de sa vie. Ça pourrait être votre mère, votre père, votre meilleur ami. Ça pourrait être vous. La maladie mentale ne fait pas de discrimination. D’ailleurs, qui d’entre nous n’a jamais éprouvé une forme ou une autre de détresse mentale à un moment de sa vie ? Les manifestations de troubles mentaux sont tellement fréquentes dans notre société si exigeante et axée sur la performance. Burnouts, dépressions circonstancielles, anxiété, angoisse…
Parlons-en et acceptons la maladie mentale comme n’importe quelle autre maladie physique. Parce que c’en est une. Elle est causée par des débalancements chimiques, par de mauvaises connexions cérébrales, en raison de souffrances physiques et émotives.
Parlons-en ouvertement, sans tabou. De même, en évitant d’ostraciser, d’isoler et de rejeter ceux qui en souffrent, on pourra contribuer à trouver des solutions à ce mal qui ronge notre société.