En 2017, nous avons publié un « spécial Autochtones » qui a connu beaucoup de succès. Nous répétons l’expérience cette année. Premier constat de cette incursion dans l’univers des Premières Nations : il y a tant à découvrir qu’une édition ne suffit pas. Il faut en parler tout au long de l’année. Autre constat : au-delà des blessures et des injustices, il y a des histoires de succès, de résilience, de talents qu’on gagnerait tous à lire et à entendre.

Maya Cousineau Mollen incarne bien toutes ces histoires où se côtoient l’ombre et la lumière. On s’est rencontrées pour discuter de réconciliation et de relations autochtones-allochtones. Parce qu’en parler et en écrire, c’est primordial, ça fait partie du processus qui permettra de faire tomber les barrières, les préjugés et les idées reçues.

Maya, écrivaine, poète et passionnée d’histoire est Innue originaire de la communauté Mingan-Ekuanitshit sur la Côte-Nord, installée à Montréal depuis un an. Dès notre première rencontre l’été dernier au Café de la Maison ronde, j’ai tout de suite aimé son énergie, son calme et son air de sagesse. Son ouverture à l’autre aussi. Elle m’a raconté son histoire.

Née de parents innus, donnée en adoption à un couple de Québécois par sa mère biologique, Maya a grandi chez les Blancs, mais est restée proche de ses origines. « J’ai mon statut et je suis même immatriculée, dit-elle. Souvent quand je fais des lectures de poésie, je me présente: Maya Mollen, immatriculée 08200, comme Indienne selon la Loi sur les Indiens ». Devant mon incrédulité qu’on matricule des êtres humains, elle ironise : « Eh oui, encore de nos jours, dans le plus meilleur pays du monde… »

Partagée entre ces deux univers, elle a vécu l’amour de parents québécois dont le premier souci était qu’elle conserve son identité et sa culture. Maya m’apprend qu’elle est littéralement la petite-fille adoptive de Jack Monoloy (John Maloney de son vrai nom), celui qui a inspiré la célèbre chanson éponyme de Gilles Vigneault. Proche de la communauté innue, il parlait et écrivait dans cette langue et entretenait des liens avec Sylvestre Mollen, le grand-père biologique de Maya, alors chef de la communauté innue.

Colonisation

« Moi, je suis un produit direct de la colonisation. Anne, ma mère biologique a vécu beaucoup de violence et elle s’est poussée de sa communauté. Elle a aussi connu les pensionnats et ça l’a marquée toute sa vie. Elle ne s’est jamais remise de ses fantômes. J’ai l’impression que c’est ce qui l’a emportée », dit Maya, qui a enterré sa mère plus tôt cette année.

Elle ajoute que sa mère avait témoigné à la Commission vérité et réconciliation, tout comme Maya l’a fait à la Commission Viens pour un épisode de racisme et de discrimination qu’elle a vécu. « J’espère que je suis la dernière de ma famille à devoir témoigner, insiste-t-elle. Que l’on ait plus avoir à le faire serait un bel exemple de réconciliation. »
Elle relate qu’à l’école, la discrimination et l’intimidation venaient tant de la part des Blancs que des Innus, qui, à l’époque, n’acceptaient pas sa situation. Ses parents l’ont donc envoyée au privé où le racisme se manifestait plus subtilement, surtout par de l’indifférence.

Une fois à l’université, elle a « forcé la main » pour qu’on l’initie comme tout le monde. « Il n’y avait pas beaucoup de métissage, on ne savait pas trop quoi faire avec moi. » Elle raconte qu’à l’époque, une discothèque de Sept-Îles interdisait carrément l’entrée aux Autochtones. « Toi t’es Indienne, tu n’entres pas. » Ce n’est pourtant pas si loin que ça, à peine 20 ans !

Apprendre pour mieux comprendre

Elle poursuit : « Dans mes livres d’histoire à l’université, il n’y avait pas grand-chose sur nous, jusqu’à ce que je suive un cours avec Denys Delage, où j’en ai appris beaucoup sur la période contact et pré-contact. Mais jamais rien sur aujourd’hui, nos personnages importants, nos héros. Ce qui m’a aidée était le cours de politiques autochtones au Canada. Ça a été un catalyseur. On apprend des choses récentes, on fait des constats, on peut avoir des réflexions. »

« Par contre, apprendre sur les mouvements autochtones en Amérique du Nord, Wounded Knee, les guerres indiennes… ça m’a rendue tellement en colère. » Or, son mentor, l’érudit Claude Picard, de la nation Huron-Wendat l’aidera à « calmer la militante en moi, à travailler les faits, à valider des perceptions, si on veut un message qui porte ».

Au fil des ans, Maya creusera ses savoirs et s’impliquera dans plusieurs organisations, dont Femmes autochtones du Québec. Aujourd’hui, à 43 ans, sa colère s’est estompée grâce aux apprentissages et à l’expérience de vie qui mate l’impulsivité. Un terme qui revient souvent chez elle : « perception validée ». Effectivement, quand on prend le temps de vérifier auprès des autres ce que l’on croit être leur réalité, on en apprend souvent plus que l’on escomptait.

Au final, la réconciliation c’est ça : se parler, en apprendre un peu plus sur l’autre. On en ressort enrichi. Du moins, c’est mon cas à l’issue de ma conversation avec Maya.

 

À propos de Maya

Maya Cousineau-Mollen est conseillère en développement communautaire Premières nations et Inuit chez EVOQ Architecture. Elle s’implique aussi bénévolement auprès de la brigade Wolf Pack, qui sillonne les rues de Montréal la nuit pour venir en aide aux itinérants autochtones et inuits.