Le grand virage vers le maintien à domicile de longue durée qui s’amorce enfin doit s’accompagner du soutien nécessaire aux organismes communautaires : ce sont eux qui sont sur le terrain et qui sont outillés pour fournir les ressources. Car les aînés qui souhaitent rester à domicile ne sont pas tous aussi actifs et autonomes que Louise et André que nous avons interviewés et qui nous rappellent que, dans la vie de tous les jours, ce sont souvent des aînés qui aident d’autres aînés.

André Tremblay, 81 ans, ancien bûcheron de métier, dit avoir rajeuni depuis qu’il est bénévole au Carrefour Montrose dans le quartier Rosemont. « Ça fait neuf ans que ma femme est décédée, et ça fait neuf ans que je viens au Carrefour pour faire des appels d’amitié. Parfois, les personnes que j’appelle sont de mauvaise humeur, mais à la fin de la conversation, elles vont mieux ! », dit-il tout enthousiaste. « Être aidant naturel, on l’a dans l’âme, ça ! Je le sais parce que je l’ai appris. La vie était dure dans le temps. » Non seulement il fait des appels d’amitié, mais son bénévolat l’occupe du matin au soir presque sept jours par semaine. « Je ne reste jamais à la maison, ici je fais juste dormir et manger, c’est tout. » Présidence de conseil d’administration, activités sociales variées, aide au transport, sentinelle, menus travaux, culture de légumes sur son balcon, sorties au parc, bicyclette, et même hockey ! Il y a déjà 20 ans que son cardiologue l’a opéré pour débloquer des artères : « Les gens me disent que je rajeunis en vieillissant ». Ces aînés bénévoles, tout comme les travailleurs des organismes communautaires ou le personnel des équipes de soins à domicile, interviennent de très près auprès des personnes vivant le plus souvent seules et dans la précarité. Et que dire de leur importance pour la survie de plusieurs durant la pandémie ?

Louise Rosenberg, une citoyenne de Lachine raconte : « Lorsque la pandémie est arrivée et que l’on m’a dit qu’il fallait que je reste à la maison parce que j’avais 70 ans et que ma santé était fragile, c’est là que je me suis dit : ce n’est pas vrai, je ne me sens ni vieille ni fragile ! Il faut que je fasse quelque chose pour changer la perception que les gens ont de nous ! »

Fragile, moi ?

C’est ainsi qu’en 2020, Louise Rosenberg, la citoyenne engagée est née. Bien sûr, son parcours ne la destinait à rien de moins : elle était travailleuse sociale en unité psychiatrique et chargée de cours. Elle se met donc à chercher en ligne ce qui se fait déjà au Québec, et elle tombe sur la page du mouvement citoyen Habitats, qui pose la question : comment voulons-nous habiter notre vieillesse ? S’ensuivent des rencontres virtuelles avec des gens de toutes origines professionnelles, et de tous les âges, qui se questionnent sur les réalités du vieillissement. Depuis deux ans, Louise multiplie les projets pour s’impliquer de manière active dans son arrondissement. Création et animation du Café des aînés de Lachine, participation aux consultations publiques de la Ville de Montréal, éclaireur (personne formée par le CISSS pour prévenir les problèmes de santé mentale dans la population) dans sa communauté, et mise sur pied d’un atelier d’initiation à l’improvisation au Centre multi-ressources de Lachine. « Il y a un énorme besoin de parler de nos désirs et de partager nos questionnements », dit-elle. Et son implication ne s’arrête pas là : « Nous voulons créer un Conseil des aînés » à Lachine, mais ce qui la motive dans tout ça : « Nous avons besoin de reprendre notre pouvoir, de décider comment on veut vieillir. Je souhaite contribuer à réinventer la vieillesse, car le pire des âgismes, c’est le mien ! dit-elle sans sarcasme. C’est la petite voix à l’intérieur de moi que j’ai dû mettre de côté. Celle qui me dit que je suis trop vieille pour ça ! »

Travailleurs de milieu

Jacques Brosseau, directeur général du Carrefour Communautaire Montrose, a aussi contribué à titre de président du conseil d’administration de l’Association québécoise des centres communautaires pour aînés (AQCCA) à l’instauration, il y a 10 ans, du programme québécois nommé « Initiatives de travail de milieu auprès des aînés en situation de vulnérabilité » (ITMAV). Ce programme, devenu pérenne après trois ans, offre une aide financière à des organismes communautaires pour la mise en place, ou le maintien, de travailleurs de milieu. Ceux-ci rejoignent et soutiennent les aînés vulnérables et fragiles qui sont à domicile. Ces intervenants sont formés pour référer et accompagner leur clientèle vers les ressources pertinentes à proximité, pour briser leur isolement, et ainsi favoriser leur maintien dans leur communauté.

Almanto Lee est travailleur de milieu au Carrefour Montrose depuis bientôt trois ans. Il se souvient particulièrement de la fois où il a retrouvé un homme sur le plancher de son appartement. « C’est notre service de transport qui nous a avertis que le monsieur ne répondait pas au téléphone. Nous nous sommes rendus sur place et nous l’avons trouvé par terre. L’homme qui avait fait une chute n’arrivait pas à se lever depuis plus de 12 heures. » À leur arrivée, ils ont évidemment contacté le 911 pour faire venir une ambulance. Actuellement, ce sont 124 organismes communautaires du Québec qui reçoivent une aide financière du programme ITMAV pour réaliser 147 projets. Le travail d’Almanto, comme celui de tous les autres intervenants, est essentiel. En plus de voir à ce que les besoins élémentaires tels que manger, se laver, nettoyer son logis soient comblés, ceux-ci détectent les problèmes physiques ou mentaux qui peuvent survenir, et répondent également aux questions des aînés.es qui ne peuvent réaliser certaines tâches informatiques ou prendre des rendez-vous en ligne.