Said Farkouh
Camelot métro Montmorency

La guerre en Syrie, mon pays d’origine, a dévasté la vie des citoyens et a détruit tous les bâtiments historiques et plusieurs quartiers de Homs, ma ville. La terreur et la panique se sont répandues dans tout le pays à partir de 2011. Dès l’ors, la violence n’a fait qu’augmenter ainsi que le bruit des bombes, des obus et des balles dans toutes les rues et les quartiers.

Peu à peu, la plupart des magasins et des commerces ont fermé, les gens ont déserté les rues et il y a eu un manque criant de nourriture ainsi qu’une grande difficulté à simplement obtenir du pain. La population s’est mise à manquer d’électricité, d’eau, de mazout pour se chauffer et de bouteilles de gaz pour la cuisine. Les rues sont devenues sombres la nuit. Tout cela suggérait que la guerre civile était imminente.

Les soirées étaient longues et ennuyeuses sans électricité et sans télévision. Mais on avait peur de quitter la maison après le coucher du soleil pour rendre visite à quelqu’un, car c’était dangereux. Les tirs aléatoires et les bombardements dans les rues ainsi que les enlèvements représentaient un grand risque pour ceux qui s’aventuraient dans la nuit noire.

Pour passer le temps, je rendais visite à mon oncle Ibrahim qui habitait la maison juste à côté. Je pouvais y avoir accès en passant par la porte intérieure du jardin sans avoir à sortir dans la rue. Nous pouvions passer une partie de la nuit à discuter et à écouter les nouvelles sur un poste de radio à piles. Mon oncle avait plus de 100 ans, mais était toujours vigilant. Il avait une vaste expérience de la vie.

Mémoire impressionnante

J’aimais écouter ses histoires intéressantes quand nous étions assis sur la terrasse dans le jardin sous les grenadiers, chargés de fruits suspendus, à la fin de l’été. Il me racontait ses expériences et les faits marquants de sa vie. Il n’avait rien oublié, pas une histoire ni une date… Il avait une mémoire impressionnante malgré son grand âge. Ses histoires étaient intéressantes. Il ne m’ennuyait pas, même quand il se répétait.

Ibrahim avait travaillé au ministère de l’Éducation pendant 40 ans. Il m’a raconté souvent qu’il avait aidé toutes les personnes qui étaient dans le besoin, quelle que soit leur religion ou leur ethnie. Pour lui, peu importait si la personne soutenait un parti politique ou un autre. Qu’il soit un être humain était une raison suffisante pour lui tendre la main. Il croyait fortement en la mission de l’homme envers ses frères et sœurs humains. C’était sa religion.

Il croyait au respect des personnes âgées et des jeunes. Au respect du fort et du faible, du riche et du pauvre. Il croyait fermement qu’on doit traiter l’autre comme on voudrait être traité. Il a défendu la justice sociale et les droits fondamentaux avec tout son courage et sa force toute sa vie. Ses principes et sa doctrine n’ont jamais changé.

Déracinés

En 2012, le conflit a forcé mon oncle à quitter Homs avec ses enfants et ses petits-enfants, déracinés de leur grande maison pour sortir de l’enfer et s’établir en dehors de sa ville qu’il aimait, une ville où ses ancêtres avaient vécu pendant des centaines d’années.

La grande maison de mon oncle avait toujours été pleine de vie, de parents, d’invités et d’amis. Le silence qui y régnera après le départ de la famille sera accablant. À l’aube de la guerre, tous les habitants de notre quartier quitteront peu à peu leur maison à cause de la peur et de l’insécurité grandissante.

Au moment de quitter Homs, nous avons cherché et trouvé une voiture pour fuir, ce qui n’était pas facile à ce moment-là. Et si nous attendions trop longtemps, nous ne pourrions atteindre la sortie de la ville en toute sécurité.

Avant de monter à bord de la voiture, j’ai regardé la maison et le jardin de mon oncle où j’avais passé mon enfance avec mes cousins et je me suis demandé si je verrais cet endroit à nouveau.

Je me suis demandé ce qui arriverait à ma chatte qui me rendait visite tous les jours. Mourrait-elle de faim ou serait-elle atteinte par une balle perdue ? J’ai aussi jeté un long regard sur mes précieux livres qui « vivaient » avec moi. Je les laissais à leur destin… Plus tard, j’ai appris qu’ils avaient été brûlés par un obus tiré dans mon appartement.

Je me suis demandé au moment où je m’apprêtais à partir si je verrais mon appartement à nouveau ou s’il serait pillé et brûlé dans cette guerre dévastatrice. Toutes ces questions me traversaient l’esprit tandis que je faisais mes valises et attendais le chauffeur qui nous emmènerait tous hors de la ville.

Lorsque nous sommes arrivés à destination, nous avons soupiré de soulagement. C’était comme sortir d’un vrai cauchemar. Mon oncle et moi avons alors été séparés. Il déménageait en montagne dans l’ouest du pays et moi je revenais au Canada.

Le jour de mon départ outre-mer, Ibrahim a fait le voyage pour venir me dire au revoir. Il avait le poids de sa longue vie sur les épaules. Il me demanda si nous serions à nouveau réunis un jour. Je lui répondis d’une voix triste que je le souhaitais, que je le souhaitais vraiment.

L’oncle Ibrahim, âgé de 105 ans, avec son arrière petite-fille (5e génération) des ses bras.