La célèbre poupée américaine a beau avoir passé la soixantaine, elle n’a pas pris une ride. En septembre dernier, Mattel a annoncé le lancement d’une nouvelle gamme de poupées non genrées. Bien que les tons de couleurs de peau et types de cheveux soient différents, la taille mannequin de la figurine ne change pas vraiment : elle n’est ni trop imposante ni trop réaliste et reste toujours dans son monde en plastique.

Dans leur emballage vert pastel et jaune, les Creatable World sont vendues à l’unité, uniquement en ligne. La nouvelle gamme lancée par le second leader mondial du jouet tente de s’adapter aux mœurs actuelles en proposant une réponse non genrée à ses détracteurs.

Au total, sept figurines ni fille, ni garçon sont désormais sur le marché. C’est l’enfant qui, grâce aux accessoires fournis, donne un genre ou non à sa poupée. En utilisant les jupes, pantalons et autres vêtements ainsi que les différentes perruques de cheveux longs, courts, curvy ou dreadlocks, l’enfant crée la poupée de son choix.

Chose étonnante : les Creatable World ne sont pas adultes : elles sont âgées de sept ans et n’ont aucun élément distinctif sur leur corps ou visage pouvant les identifier à un genre particulier.

Pour les créer, 250 familles réparties dans sept états américains ont été sondées. Plusieurs enfants se sont identifiés comme étant transgenre ou non binaire, c’est-à-dire qu’ils ne s’identifiaient pas au genre masculin ou féminin.

Interrogée par le Times, Monica Dreger, responsable des informations sur la consommation chez Mattel, expliquait que « certains enfants craignaient le jour de Noël, parce qu’ils savaient que tous les cadeaux qu’ils trouveraient sous le sapin ne s’adressaient pas à eux. Cette poupée est la première qui sera faite pour eux, parce qu’elle peut justement être pour tout le monde ».

Mattel se base sur des sondages réalisés auprès des enfants de la génération alpha, née en 2010 ou après, irrités par les étiquettes : ils ne veulent pas savoir à qui un jouet est supposément destiné ni même comment jouer avec.

Rien entre les jambes

Et si Mattel n’atteignait pas le but recherché ? C’est le point soulevé par Alex Myers, écrivain, enseignant et conférencier, qui a également été le premier étudiant ouvertement transgenre d’Harvard, dans un article relayé par Slate. « Avec les Creatable World, l’entreprise reconnaît que le genre se décline en plus de deux options, ce qui est une avancée vers l’inclusion », admet M. Myers.

Même si cette nouvelle gamme peut donner une certaine reconnaissance voire un certain sentiment de validation de l’identité non genrée, l’enseignant reste sceptique quant à ce que la poupée réussit à communiquer et accomplir réellement. M. Myers soutient que dans la commercialisation de sa nouvelle poupée, Mattel est loin de l’identité non binaire, c’est-à-dire ni féminine ni masculine. « Oui, ils ont éliminé les mensurations impossibles, les seins et pectoraux en parfait plastique de Barbie et Ken, mais ils n’ont toujours rien entre les jambes. Ce néant peut être un peu troublant. On s’est toujours questionné sur sa blancheur corporelle allant jusqu’à effacer la question des organes génitaux. Or ces poupées n’ont pas le corps que la société lit de manière sexuée. On passe à côté de l’essentiel. Ce que l’on modifie avec les Creatable World, c’est uniquement leur expression sexuelle, matérialisée par les vêtements ou la coiffure, et non pas leur identité de genre », écrit-il. En d’autres termes, ces poupées démontrent que le genre n’est pas une simple question d’accessoires.