Ils en ont vu des choses, ces enfants des HLM qui sont aux premières loges de ce que peut engendrer la pauvreté : violence, surdoses, prostitution non dissumulée. Et plusieurs d’entre eux s’élèvent au-dessus de la mêlée grâce à des gens qui se soucient d’eux. Rencontre avec un intervenant enfance-famille.

À l’ombre du stade olympique, dans le complexe d’habitations à loyer modique (HLM), des enfants se chamaillent amicalement en face du Centre des jeunes Boyce-Viau. Ils sont comme frères et sœurs, qui grandissent ensemble, avec des bâtons dans les roues et leurs sourires résilients.

Il est 15h30 et la cloche de l’école Saint-Jean-Baptiste-de-laSalle vient de sonner. Étienne Brault, intervenant enfance-famille aux habitations Boyce-Viau, attend une dizaine de jeunes turbulents et pleins d’énergie pour les raccompagner à pied tout au long du kilomètre qui sépare l’école de la maison. Chemin faisant, certains «ont de la jasette», d’autres «courent partout», et tous s’amusent quand l’un de la gang va «sonner aux portes» des appartements de la rue Hochelaga.

Une fois arrivé dans l’immense plan HLM aux allures de village, Étienne Brault ouvre la porte du local pour une période d’aide aux devoirs que l’organisme offre gratuitement aux enfants de 6 à 12 ans, chaque soir de la semaine. Le Centre des jeunes BoyceViau (CJBV), un organisme pour les enfants et leurs familles qui habitent derrière les 200 portes de l’immense complexe immobilier, accompagne depuis 30 ans les résidents dans leur vie de tous les jours.

À Montréal, ils sont 12000 enfants et jeunes adultes à vivre dans ces tours de béton toutes pareilles. Ces jeunes représentent le tiers des habitants de ces milieux de vie défavorisés, où bienveillance, entraide, pauvreté et violence cohabitent.

Une gang solidaire

« C’est un miracle de constater que, malgré les différences, il y a plus de choses qui les unit. Ils sont inséparables, dit Étienne Brault. Il peut y avoir de grands écarts d’âge dans le groupe, mais quand un petit tombe, il y a toujours un plus grand pour l’aider à se relever. C’est vraiment beau à voir. »

L’intervenant accueille chaque soir sa gang d’enfants pour faire de l’aide aux devoirs, du sport, et, la fin de la semaine, de la bouffe communautaire.

Malgré la multitude de services que le centre offre aux familles, l’aide aux devoirs est souvent le premier lien que l’intervenant aura avec les parents nouvellement installés dans le HLM. « Ils peuvent être méfiants au début, mais ils se rendent compte de l’utilité de ce service, parce qu’ils ne sont pas toujours en mesure d’accompagner leurs enfants dans leurs apprentissages scolaires, dit-il. Il y a beaucoup de parents dont la langue première n’est pas le français. Les devoirs sont une barrière pour eux. »

En plus de s’occuper des enfants et de leurs familles, en grande partie allophones, il dirige une équipe d’animation dévouée qui n’a pas peur du bruit, du chaos et de l’imprévisible.

Résilience

Le mot est juste et vient naturellement quand on demande à l’intervenant de décrire ces enfants qui vivent à l’extrémité est du quartier Hochelaga-Maisonneuve, sur le bord de la track de chemin de fer.

« Ils sont résilients, c’est incroyable. Ils coulent une année, l’année d’après ils recommencent sans s’apitoyer sur leur sort, dit-il. Ils ont une force qui appartient à un autre monde. Je leur souhaite d’apporter ce bagage communautaire, du petit village qu’est Boyce-Viau, et le bagage familial aussi, dans leur baluchon et d’être là les uns pour les autres. On a des jeunes qui ont de la drive. Ça peut être tough comme milieu, mais s’ils sont capables d’en retirer le meilleur, il n’y a rien qui va les arrêter .» Grandir en milieu HLM peut être une expérience difficile à porter, croit l’intervenant, mais qui forgera sans doute le caractère de ces jeunes adultes en devenir. « Cette enfance qu’ils vivent, dans le plan, je suis sûr que ça leur servira quand ils partiront d’ici, pense-t-il. Parce que oui, un jour, ils vont le quitter ce HLM-là »

Grand frère

Il y a 10 ans, à peine âgé de 20 ans, Étienne Brault qui venait passer une entrevue pour devenir animateur au camp de jour au CJBV, mettait les pieds dans un HLM pour la première fois.

« Ma job c’était d’être le clown, le garçon drôle avec qui les enfants voulaient rire et déconner. J’aimais ce rôle-là, mais avec le temps qui passe et les enfants qui vieillissent, je me suis rendu compte que je développais de réelles relations avec eux, dit-il. Ce n’est plus l’envie de rire, mais l’envie d’être fier, de célébrer ce qu’ils sont devenus qui a pris la place. Ça, c’est une transformation que je n’avais pas prévue en acceptant la job en 2012

Il suffit de se rendre à l’extérieur du local du CJBV pour comprendre. Des dizaines d’enfants s’attroupent pour poser tous en même temps une question qui n’aura pour but que d’attirer l’attention de celui qui est considéré comme leur grand frère.

En tentant d’offrir une réponse drôle et intelligente aux enfants, l’intervenant poursuit sa réflexion: « Autant j’ai eu un impact sur leur vie, autant ils en ont eu un plus important sur la mienne. Dire qu’au début on jouait juste au ballon ensemble ».

Le CJBV peut compter sur une équipe d’intervenants et d’animateurs en place depuis longtemps. Un lien qui a perduré dans le temps et qui fait que le Centre des jeunes, à même le HLM, est devenu un acteur incontournable dans la vie des résidents du complexe. Il suffit que l’un d’entre eux apparaisse lors d’une situation à risque de dégénérer pour que le dialogue remplace la confrontation.

« Je l’ai vécu pas plus tard qu’il y a un mois. Des policiers avaient une discussion animée avec des jeunes ados assis sur un banc. Je ne comprenais pas ce qui se passait, les jeunes semblaient calmes avant qu’ils les interpellent, raconte M. Brault. Quand je suis arrivé, le ton a baissé d’une shot. On a discuté, on a même fini par rire ensemble. Ce sont mes anciens jeunes, quand ils avaient entre 6 et 12 ans. »

Histoire de pichenottes

En pensant à la dernière décennie passée entre les immenses bâtiments stériles et uniformes du HLM Boyce-Viau, Étienne Brault ne se souvient pas que de beaux moments. S’il peut sentir qu’il fait la différence et que « c’est gratifiant le soir en rentrant », le travail peut être brûlant: « Oui, il y a des drames, il y a beaucoup d’épisodes douloureux à travers ça ».

Mais l’intervenant enfance-famille se souviendra toujours de sa première journée au CJBV. En intégrant les locaux de l’organisme, il regarde un enfant de 7 ans jouer aux pichenottes. Champion incontesté, il portait sa couronne de roi des pichenottes sur la tête. « Ce jour-là, je l’ai battu, et il m’a donné sa couronne », se souvient-il en riant.

« Cet enfant-là, c’était l’enfant le plus tannant que j’ai pu voir ici et ailleurs. C’était celui qui ne voulait pas rentrer à la maison, qui s’accrochait aux pattes des tables, qui se cachait, qui envoyait promener tout le monde, raconte-il. C’était surtout l’enfant qui n’avait pas d’amis. Il récoltait ce qu’il semait. Et il en souffrait. J’ai peut-être été le premier adulte qui lui a dit qu’il était intelligent, bon dans les sports et drôle. Aujourd’hui, il a 16 ans et joue au basket niveau élite. Il a plein d’amis et quand il parle, les jeunes autour l’écoutent. Je ne l’ai jamais lâché. C’était un enfant dont personne ne voulait. Moi je l’ai pris. »

 

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