Au moment d’écrire ces lignes, l’hiver s’est brutalement installé sur Montréal, et il fait même plus froid qu’à Kuujjuaq ! Les températures frôlent les -20◦C durant la journée, je ne m’imagine pas ce que c’est la nuit. Chaque jour, je ne peux que m’émerveiller du courage de nos camelots, qui bravent le froid pour vendre L’Itinéraire. Chaque nuit, je ne peux que m’attrister et me révolter devant la quantité de personnes qui devront dormir dans la rue. Au risque de leur vie.

Quand l’hiver commence, le froid prend une place considérable dans la vie des camelots et de L’Itinéraire. Plusieurs souhaitent ardemment pouvoir vendre L’Itinéraire, le temps que l’hiver passe, dans les stations de métro, ou tout au moins à un endroit où ils pourront aller se réchauffer rapidement. Quand nous discutons ensemble, le froid est presque toujours le premier sujet abordé : « Y fait frette ! », « C’est l’enfer ! », « Comment aller vendre quand y fait froid comme ça ? » Les mains rougies, durcies et ridées par des années de froid, certaines fois par des mois voire des années d’itinérance. Le pas ralenti, le souffle plus court, le regard plus fatigué.

Avant-hier, je discutais avec l’un d’entre eux, un passionné de dessin, un jeune homme allumé et bien plus organisé que moi, il comptabilise chacune de ses ventes à l’unité près. C’était le lendemain de la première nuit de grand froid de l’hiver. Il me racontait qu’il avait trouvé une brèche dans le système : une petite cabane de la Ville laissée débarrée, chauffée la nuit en plus pour on ne sait quelle raison. Il célébrait, son sourire était radieux, c’était beau à voir ! C’est là qu’on réalise à quel point une seule nuit au chaud, ça peut tout changer.

D’ailleurs, vous devriez voir leurs visages quand des âmes généreuses (une chance qu’elles sont là!) leur apportent des mitaines, des bas de laine, des tuques, parfois des bottes, des manteaux… Ça nous suit pendant toute une vie. J’en profite pour remercier ces personnes, des anges, littéralement, qui permettent à nos camelots, comme à toute personne en situation d’itinérance et de précarité sociale, de survivre l’hiver. On le dit souvent, mais parce que c’est vrai : c’est un petit geste qui a un énorme impact sur leur vie et leur moral.

Mais…

Toujours est-il que le lendemain matin, après une autre nuit de grand froid, j’ai recroisé le même camelot. Le contraste était saisissant, tant dans son allure que dans ses propos. Au point où j’ai su ce qui s’était passé avant même qu’il en parle. Malheureusement, la Ville avait barré la porte. Il avait été contraint de dormir à la Mission Bon Accueil. Il avait très mal dormi, il souffre d’agoraphobie.

Je ne veux pas minimiser le rôle des ressources communautaires pour éviter que les personnes doivent passer la nuit dehors durant l’hiver. Comme vous le lirez dans la chronique du Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM), plusieurs mesures essentielles sont mises en place durant l’hiver. Bien au contraire, elles sauvent réellement des vies !

Mais, disons le franchement, c’est loin d’être comparable à une bonne nuit au chaud dans son lit, un lit bien à soi, où l’on dort seul ou, sinon, avec des gens que l’on chérit ou à tout le moins que l’on connait. Ce n’est pas un privilège, c’est un droit. Le Canada a d’ailleurs adhéré au Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels en 1976, le Québec l’a aussi endossé. En 1991, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’Organisation des Nations Unies (ONU), dont qui assure l’application du Pacte et y apporte des précisions, a défini le droit à un « logement suffisant » comme « un lieu où l’on puisse vivre en sécurité dans la paix et la dignité. »

D’où l’importance de ne pas seulement investir dans de l’hébergement d’urgence, qui ne permet aux personnes simplement de survivre – c’est le moindre de la dignité – mais dans ce logement « suffisant ».

Alors, en ce début d’année et cet hiver particulièrement froid, prenez le temps de vous arrêter et parler à nos camelots et aux personnes qui vivent dans la rue, ça leur réchauffe le cœur. Âmes généreuses, continuez de distribuer des tuques et mitaines, ça leur réchauffe le corps. Et passez le mot pour de l’investissement dans ce logement suffisant, au-delà de l’hébergement d’urgence.