« Grâce au cannabis, j’ai arrêté de me piquer »

J’ai 45 ans, je suis séropositif depuis que j’ai 21 ans. J’ai commencé à me piquer à 15 ans et j’ai pogné le VIH quand je suis arrivé à Montréal, à cause des échanges de seringues. À l’époque, c’était moins safe qu’aujourd’hui, on était moins informé sur les risques. On disait que laver les seringues à l’eau de Javel éliminait l’hépatite mais ce n’était pas le cas.

J’ai suivi plusieurs traitements lourds, la trithérapie, et tout ça a beaucoup d’effets sur le système. Tu prends plein de médicaments pour différentes raisons et au bout d’un moment, les effets secondaires s’accumulent. On me prescrivait des pilules pour dormir, des antidépresseurs, dans antidouleurs pour le dos et le cou, de la méthadone pour arrêter l’héroïne…

Les effets secondaires principaux, ce sont la perte d’appétit et les insomnies. Je fumais déjà de temps en temps et je voyais que ça me faisait du bien, autant au moral que physiquement. En 2000, j’ai su que d’autres personnes se faisaient prescrire le cannabis thérapeutique et j’en ai parlé à mon médecin de famille, qui me suit pour mon traitement contre le VIH. Il y a bien des médecins qui aimeraient prescrire le cannabis thérapeutique mais ils craignent la réaction du Collège des médecins, qui est contre cette pratique.

Il y a une grosse différence entre le cannabis thérapeutique et celui qu’on trouve dans la rue. Le pot qui pousse en laboratoire est plus cher et non remboursé, mais il est aussi beaucoup plus clean. Sa culture est contrôlée et il n’est pas coupé aux pesticides, ça permet de fumer moins de cochonneries. Mon médecin a fini par accepter de me le prescrire.

Grâce à ça, j’ai repris de l’appétit. Je perdais beaucoup de poids et ça devenait inquiétant pour ma santé. Sans fumer, après deux bouchées de bagel je suis rassasié, même si j’ai travaillé dur toute la journée. Grâce au cannabis, j’ai plus faim aujourd’hui.

Je sais que j’ai tendance à trop consommer et que je devrais limiter ma consommation, mais je vois que ça a vraiment un impact positif sur ma santé. Je n’ai plus besoin de fumer la cigarette et surtout, j’ai arrêté tout le reste. J’ai arrêté de me piquer en 2010, et je suis sûr que je n’aurais pas pu sans le cannabis. Je ne bois presque plus jamais, une fois ou deux par an, pour une grande occasion.

J’ai bien conscience que ça ne marche pas sur tout le monde, mais j’ai assez de recul aujourd’hui pour dire que moi, ça m’a vraiment aidé. J’ai commencé à vraiment me connaître à 39 ans alors que j’avais consommé des drogues dures toute ma vie. Le pot m’aide à me calmer, à être relax. Je pourrais ne pas fumer, ne pas manger ni dormir… Avec le cannabis, oui je fume, mais je mange et je dors bien.

« Je suis content d’avoir su arrêter à temps »

J’ai commencé à fumer quand j’avais 15 ans, quand j’étais au secondaire. J’avais plusieurs amis qui consommaient. Je m’étais toujours dit que je ne fumerais jamais mais un ami a beaucoup insisté pour que j’essaye. J’étais tanné qu’il me le propose, alors j’ai fini par dire oui. On peut dire que je me suis senti un peu forcé.

Finalement, c’était une belle expérience. J’ai découvert des sensations nouvelles et ça m’a donné le goût de continuer. Au début je fumais avec mes amis, c’était un truc social, on riait bien, il n’y avait pas d’effets négatifs. Puis on s’est mis à essayer d’autres choses : du hachisch, et de temps en temps des champignons magiques.

Mais un jour, après avoir pris un buvard, j’ai développé une psychose. Les idées défilaient super vite dans ma tête, j’avais l’impression que tous mes sens étaient amplifiés, que j’étais connecté avec les éléments. Je suis resté high comme ça plusieurs jours, je n’arrivais pas à redescendre.

Les professeurs voyaient bien que quelque chose n’était pas normal et on a décidé de m’amener à l’hôpital pour enfants de Sainte-Justine. C’est là que j’ai été diagnostiqué bipolaire. J’avais 17 ans. J’ai été hospitalisé plusieurs semaines. J’ai raté beaucoup de cours mais j’ai pu finir mon secondaire.

Suite à ça, j’ai quand même continué à fumer du pot. Au début je pensais que je pouvais m’automédicamenter avec ça, mais j’ai compris que ça ne me faisait pas de bien. Au Cégep, je n’allais presque jamais en cours. J’étais tout le temps endormi, je n’arrivais pas à me concentrer, je ne pouvais m’engager dans rien à long terme. Je ne fumais plus socialement mais tout seul. Pas dans des grandes quantités, mais chaque jour quand même. Ça a duré une dizaine d’années.

J’ai fini par réaliser que ça m’apportait plus de négatif que de positif. Par rapport à ma bipolarité, je me suis rendu compte que ça ne servait à rien de prendre des médicaments et de consommer. Savoir qu’on doit arrêter, c’est une chose, mais réussir à le faire, c’est très difficile.

Mon psychiatre m’a alors conseillé de suivre une désintoxication. J’ai passé deux ou trois semaines à Saint-Luc. Il y avait des réunions des Narcotiques Anonymes. Ça m’a beaucoup aidé. J’ai même continué à assister à leurs réunions à ma sortie de l’hôpital. Je me suis rendu compte que ce n’était pas nécessaire pour moi de consommer. C’était difficile parce que les gens de mon entourage fumaient et avaient encore le réflexe de me passer le joint… Ça a pris du temps avant qu’ils comprennent, mais ils m’ont quand même soutenu dans ma démarche.

Depuis quatre ans ça va beaucoup mieux. Je n’ai plus besoin d’aller voir les Narcotiques Anonymes. Je suis plus motivé, j’ai plus d’argent, j’ai une meilleure santé, j’ai des projets et je vois à long terme.

Je prends tout ça comme une expérience de vie en tant que telle. Je suis passé par ces étapes pour me rendre où je suis présentement, j’ai appris des choses que je n’aurai jamais apprises sans le cannabis. Je me considère chanceux de ne pas avoir dérapé dans des choses plus dures, et je suis content d’avoir su arrêter à temps.

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