Ce numéro de L’Itinéraire, c’est d’abord l’histoire d’un privilège, celui de remplacer Josée Panet-Raymond (éditrice adjointe et rédactrice en chef) à la rédaction de cet éditorial. La moindre des politesses est donc d’abord de me présenter! Je suis David Himbert, photographe basé à Montréal, représenté à Paris par le studio Hans Lucas (diffusion AFP & Reuters) et à New York par l’agence Polaris.

Mais je suis surtout, depuis 2018, un fier porte-voix de L’Itinéraire, qui crie sur tous les toits combien ce magazine est essentiel, combien il est passionnant!
Il y a quelques semaines, Josée m’a invité à devenir rédacteur en chef d’un jour, dans le cadre d’un numéro spécial sur la photographie. «Tu as carte blanche, tu feras le dossier principal et tu rédigeras l’éditorial.»

«Ah j’oubliais, tu seras sur la photo de couverture aussi…»

Il va de soi qu’une telle invitation ne se refuse pas, et c’est vers les camelots que j’ai voulu immédiatement détourner l’attention. Ces femmes et ces hommes me touchent profondément et ce sont les héros de ce magazine. La vie leur a donné des coups qui auraient eu raison de bon nombre d’entre nous, mais ils et elles sont debout, ils sont vivants, et leur résilience est bouleversante. Il m’est souvent arrivé de me demander ce que les gens qui connaissent — ou qui ont connu — l’itinérance seraient devenus si la vie n’avait pas été une succession imméritée de taloches et de jambettes. Et puisque j’avais carte blanche pour la réalisation du dossier de ce numéro, je me suis dit qu’on pourrait peut-être répondre en photos à cette question: «Et toi, c’était quoi ton rêve?».
Avec l’équipe éditoriale du magazine, nous avons donc posé la question à plusieurs camelots (dont peut-être le vôtre), et nous avons reçu des réponses étonnantes, amusantes, mais toutes passionnantes ! Évidemment nous n’avions pas la prétention d’exaucer ces rêves, mais nous avons pensé qu’aller à la rencontre, grâce à la photographie, de cet autre que les turbulences de la vie ont empêché d’éclore, ce serait une expérience émouvante, gratifiante et joyeuse.

Nous avons donc planifié une journée tous ensemble en studio. Puis j’ai repensé à ce que m’avait dit Josée: «Ah j’oubliais, tu seras sur la photo de couverture aussi…», et je me suis mis à angoisser. Même si j’avais souvent observé qu’être photographié n’est pas quelque chose de facile, j’en prenais à cet instant la pleine mesure et la perspective de passer de l’autre côté de la caméra m’a tétanisé! On prête souvent aux peuples autochtones de différents endroits du globe cette idée que photographier quelqu’un, c’est lui voler son âme. De très beaux portraits anciens de chefs amérindiens nous laissent à penser que cette crainte n’était pas forcément partagée par tous, mais ma propre réaction m’a rappelé que même si on ne vole pas une âme, on prend une photo. Or pour ce projet, il s’agissait bien de donner et non pas de prendre.

C’est la raison pour laquelle les plus observateurs d’entre vous remarquerez sur les photos que les camelots, qui ont eu la bonté de nous partager leurs rêves, ont à la main une petite télécommande pour déclencher eux-mêmes l’appareil photo. Nous n’avons pris ce jour-là aucune photo, nous les avons toutes reçues en cadeau.