Camelot à L’Itinéraire, auteur-compositeur-interprète et artiste visuel, Siou Deslongchamps entretient depuis 10 ans une correspondance épistolaire avec Clémence Desrochers. Il vient de faire paraître un recueil mélangeant ses dessins et les textes de Clémence qu’il a mis en chanson. Clémence et moi, un livre spécial, monté comme un programme de spectacle, un récital de chansons piano-voix sur papier, un vrai show que Siou devait donner et qui a été annulé en début de pandémie.

«Un maudit virus vient bouleverser nos vies. Je suis contente si tu vas bien et j’espère que tu pourras donner ton spectacle. Quand? Qui donnera la main, enlèvera son masque? C’est l’inconnu. Il fait beau depuis deux jours, une consolation. Tu pourras marcher en fredonnant (tout bas) tes chansons. C’est ce que je faisais en préparant un spectacle. »

C’est avec cette lettre datée du 11 mai 2020 que s’ouvre le livre Clémence et moi. Ce spectacle, Siou l’avait préparé, visualisé, pratiqué. Sur les planches du café du Théâtre du Nouveau Monde, entouré de ses dessins accrochés sur les murs, il devait chanter les textes reçus de Clémence Desrochers, quelques-uns de son cru, en plus de mettre en musique Verlaine et Alfred Desrochers, le père-poète de l’artiste multidisciplinaire qui vit aujourd’hui son 88e été.

« Je n’ai pas pu vous inviter à la première de mon show alors, je crée une première mondiale. Je vous présente mon premier show à vie, non pas chanté en salle, en balcon, en cinéparc ou en direct virtuel de mon salon. Non, non! Ici je vous le livre tout en papier, en écrit et en dessin. Enfin, vous tenez entre vos mains, un livre tout show de Clémence et moi », répond Siou à Clémence, dans les premières pages du livre.

Une première rencontre

C’est justement lors d’un spectacle organisé par l’organisme d’art thérapie Les Impatients, pour lequel Clémence Desrochers a été porte-parole de 1995 à 2019, que les deux amis se sont rencontrés. Siou, qui devait réciter un poème, a opté pour une chanson à la dernière minute. Une prestation qu’il a «fait toute croche», comme il dit, mais qui a eu un effet sur le public.

« Clémence m’a vu dans ce contexte-là. J’étais tellement détendu, je m’étais préparé, je faisais ça pour m’amuser. C’était pas que c’était bien fait, mais j’étais vraiment présent à ce que je faisais, dit Siou, qui doit composer avec sa condition d’Asperger, une forme d’autisme, qui lui amène en comorbidité un trouble d’anxiété généralisé (TAG) et un trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH).

« Le lendemain, on avait un projet qui s’appelait Les duos improbables, toujours avec Les Impatients, qu’on présentait avec Clémence à l’émission Pénélope à Radio-Canada. C’est dans le couloir en dehors du studio qu’on a eu un vrai moment de qualité. Elle m’a abordé comme un ami. On a eu le temps de se parler pour vrai ».

Une lettre inattendue

Deux semaines plus tard, Siou s’étonne d’apprendre qu’une lettre de Clémence Desrochers vient d’être postée aux Impatients, à son attention. Il y trouvera un premier texte qu’il mettra sitôt en musique.

Les amis authentiques, premier texte d’une longue série, est empreint de bienveillance à l’égard de celui qu’elle considère comme «son petit frère». « Je crois que c’est une belle chose que j’ai faite dans ma vie, de lui donner un coup de main », dit-elle de sa voix espiègle et fragile au bout du fil.

Elle remarque aujourd’hui un changement dans son art, son écriture, dans l’humain qu’il devient: « Il a eu avec moi une évolution incroyable. Quand il a commencé à m’écrire j’avais de la misère à lire ce qu’il m’écrivait. Il était pogné, je le sentais malheureux. Il écrit maintenant très bien, avec confiance. Ça prend de la confiance pour publier un livre! ».

Pour Siou, ça n’a jamais été Clémence Desrochers l’artiste, la coqueluche du Québec, la célébrité, qui lui écrivait, c’est Clémence l’humaine, son «amie», qui l’a aidé et qui l’aide encore à le mettre en action. « Dès le début, il n’y a rien qui m’a fait embarquer dans la vie. J’ai passé les trois quarts de ma vie à marcher dans le vide… comme un zombie. Je fige facilement et c’est difficile juste de me gérer au quotidien. C’est tranquillement, à travers notre correspondance, que j’ai commencé à avoir un recul sur ce que je vis en général », dit le poète gavroche.

Un programme de luxe

Siou avait fait le deuil de son spectacle quand, au milieu de la pandémie, il a constaté l’immense pile de textes issus de sa correspondance avec Clémence. Filant un mauvais coton, seul chez lui, il s’est «crinqué la boîte à ressort» pour immortaliser différemment cet élan artistique. « Botte-toi le cul Siou! fais quelque chose! », se disait-il.

« Elle venait d’avoir 86 ans, je me suis dit que si je ne fais pas mon livre elle ne saurait peut-être rien de ce spectacle. Je voulais que Clémence sache comment j’avais construit mon spectacle, les chansons, les textes, mes idées. »

Il a donc monté ce livre sous forme de «programme de luxe», comme si le concert allait avoir lieu, et l’a tiré à 300 copies aux Éditions Galoche, maison de Clémence et de sa partenaire et agente des 40 dernières années, Louise Colette.

Clémence Desrochers raconte: « Je l’ai fait lire à mes amis. C’est un très joli livre. Ça lui ressemble. Mêler ses poèmes avec les miens, ses illustrations, ça fait un livre très original et touchant. C’est un être touchant ».

Liés par la tristesse

« Nous sommes tristes, la terre est triste », écrit Clémence dans une lettre à Siou. Ce « fond de tristesse », comme elle l’appelle, l’habite depuis toujours. Probablement hérité de son « vieux père », le poète Alfred Desrochers, dit-elle, qui était « très désespéré comme homme ». Une tristesse qui s’imprègne longtemps au moment du réveil: « Quand je me lève le matin, je suis rarement heureuse. Je ressemble à Siou. On vit tous les deux des matins difficiles ».

Même s’il peut être éprouvant de parler de lui, de sa vie en famille au nord de l’Abitibi, du récent décès de sa mère, de sa santé mentale fragile, Siou confie avoir eu une enfance triste. Il était cet enfant spécial, incompris, avec une intuition créative présente dès son jeune âge. « J’étais le genre de petit gars à pencher la tête sur le côté pour découvrir une autre manière de voir l’horizon, ça m’étonnait », lance-t-il, entre deux autres idées, éparpillées, comme un récit sous forme de collage. « Tout ce qui touche l’enfance, c’est significatif pour Clémence et moi », philosophe Siou sur le bout de son banc, agité.

Là-bas l’enfant

Là-bas l’enfant, un des rares textes qu’il signe dans le recueil, est autobiographique: « Là-bas l’enfant/A glissé sur la côte/A déchiré/Son pantalon/Il n’ose retourner/À la maison/De peur qu’on l’accuse ».

Il se sent encore comme cet enfant, mais loin de l’idée romantique qu’on peut coller à ce sentiment: « Parfois on m’a dit: “T’es chanceux d’avoir gardé cette part d’enfant en toi. Mais ce n’est pas un choix et loin d’être un sentiment agréable. Cependant, au cours des dernières années, j’ai l’impression que je suis devenu un adolescent grâce aux Impatients. Là, j’imagine que je m’en vais bientôt devenir un adulte. J’ai l’urgence du déclic. Je fais tellement d’efforts pour avancer, mais avec toutes ces problématiques, les difficultés, ce n’est pas facile ».

Là-bas l’enfant, quatrième pièce au programme, c’est le poème préféré de Clémence: « Je ne connais pas grand-chose de lui, il a de la misère à se raconter. Je lui ai maintenant demandé de m’écrire un nouveau livre pour qu’il me parle de lui. Ce sera difficile mais ça va l’aider je suis certaine ».

Ceux et celles dans le dalot, dans la marge, les ouvriers, les femmes au foyer, dans les usines, Clémence Desrochers les a chantés et célébrés. « Avec mon père, on était pauvre. La richesse chez nous c’était les livres. Ça étonnait mes amis parce qu’ils n’avaient pas ça chez eux, des livres. C’étaient des enfants d’ouvriers, se souvient Clémence Desrochers. La vie d’factrie, c’était ça pour vrai. Les gens effacés, il faut bien que quelqu’un les nomme. Ils m’ont toujours touchée plus que n’importe qui. Les riches n’ont pas besoin de moi ». Raconter ce qui blesse, ce qui fesse, ça aide à mieux vivre, croit-elle: « C’est là où je veux amener mon ami Siou ».

Chanteur intense et fragile

Siou est « hyper-hypersensible ». Une belle force dans la création, dit-il, mais qui peut vite devenir incontrôlable, « comme un cheval fou que tu dois toujours freiner dans sa course ». Depuis quelques années, il trouve dans sa manière de dessiner, d’écrire et de chanter, une simplicité et une intimité dépouillées de tout flafla. « J’avais une énergie très punk les première fois que je me suis mis à chanter mes chansons. Là, j’ai besoin et ça me fait un bien énorme, de chanter plus doucement, d’être plus mélodieux, de montrer ma vulnérabilité… c’est sûrement des influences qui me restent du projet de chanson avec Clémence », explique le poète camelot de L’Itinéraire.

« C’est sûr que je n’ai pas une grande voix, mais tout comme Clémence, je suis branché à mes émotions, ce qui fait que nous vivons ce que nous chantons, c’est authentique », compare Siou.

Une voix qu’elle a pu entendre sur deux de ses textes. Elle reconnaît qu’il doit la travailler, « chanter moins fort », mais que ce qu’il a à offrir au public passe ailleurs. « C’est ce qu’il est tout entier qui est beau, qui touche les gens », dit celle qui a pris sa retraite à l’âge de 84 ans.

Prise deux

À l’invitation du poète David Goudreault, que Siou a rencontré à L’Itinéraire lors d’un tournage pour l’émission littéraire Du monde, des mots, présenté à ICI ARTV, le spectacle annulé en 2020 pourra enfin être présenté le 20 août prochain dans le cadre de la Grande nuit de la poésie à Saint-Venant-de-Paquette. Un moment qui rend Siou fébrile et auquel Clémence assistera pour chanter deux chansons, ses deux « plus gros hits »: La Vie d’Factrie et Je ferai un jardin.

Un spectacle que Siou présentera en formule guitare-voix, sur la scène de la Maison de l’Arbre. « Ça l’énerve beaucoup, dit Clémence au bout du fil. Je lui ai dit que c’est normal, ça m’arrive à chaque spectacle. Mais les gens viennent par choix, par amour de la poésie, parce qu’ils ont envie de le voir et de l’entendre. »

Siou a hésité avant d’accepter l’offre de David. Un doute qui l’habite constamment quand il parle de
son art. « Je commençais à me cacher, à prendre fuite, et David m’a dit: “Non non, c’est important ce que tu fais”, explique Siou Deslongchamps. Tu sais, son “Non non”, ça a tout changé. Ça ne me prend pas grand chose pour replonger dans mes projets. »

Il y en a eu des gens sur son chemin, Siou, pour lui donner une tape dans le dos. De David Goudreault à Clémence, en passant par Lorraine Pintal et Marie-Claire Séguin qui l’a aidé avec sa voix, il a fait paraître en 2017 un projet musical avec l’auteur-compositeur-inteprète Paul Cargnello, dont L’Itinéraire était collaborateur. Plein d’amitiés, de mains tendues, « authentiques », comme lui écrivait Clémence, il y a maintenant 10 ans dans sa première lettre.

 

Extrait du livre

Lettre de Siou au monde ordinaire
Paroles : Clémence Desrochers
Musique : Siou Deslongchamps

Refrain 

Un jour peut-être, mais pas maint’nant
Je s’rai plus Siou, l’ti-cul impatient
J’irai chez le barbier, m’faire couper les dreads

Au coin d’la rue, où j’suis camelot
Mettrez-vous plus de gros sous dans mon chapeau
Si jamais… pas maint’nant 

Refrain

Un jour peut-être, mais pour maint’nant
Je reste seul dans mon appartement
Là dans mon coin, j’écris d’la musique
Parfois folle, triste ou romantique 

J’écris pour ceux-là qui comme moi
Cherchent à savoir pourquoi
Ils sont différents…si différents 

Un jour peut-être, mais pas maint’nant
Un jour peut-être, mais…
Non ! Pas pour l’instant !