Si l’entrepreneuriat n’a pas de couleur, la personne qui porte le projet d’affaires, le marché ou la clientèle visée en ont une. Et parfois, c’est un frein quand vient le temps de trouver du capital. Un an après le lancement du programme fédéral de financement aux entreprises appartenant aux personnes noires, où en est-on ?

Ce programme totalise 291 millions$. Créée avec une enveloppe du gouvernement libéral (11%) à laquelle se sont ajoutées des participations de la Banque de développement du Canada (45 %), des six grandes banques du pays et de deux coopératives d’épargne et de crédit (44 %), cette alliance entre les institutions privées et publiques est considérée comme historique et cruciale. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’elle démontre un soutien envers les communautés noires.

Implanté quelques jours après le premier anniversaire de la mort de George Floyd, ce programme était l’une des recommandations du Caucus des parlementaires noirs pour lutter contre les discriminations.

Selon l’enquête du Groupe sénatorial afro-canadien et du sénateur Colin Deacon, menée l’année dernière, auprès de 342 entrepreneurs noirs, les trois quarts pensaient que leur couleur de peau rendait plus difficile leur réussite en affaires. Le racisme systémique, la difficulté d’accès au capital ainsi que l’absence de réseau professionnel étaient cités comme les principales difficultés. Près de la moitié des entrepreneurs noirs étaient incapables de se rémunérer eux-mêmes. Seuls 19% d’entre eux faisaient confiance aux institutions financières pour faire ce qui est juste pour eux et leur communauté.

Interrogée alors par La Presse canadienne, la présidente de la Fédération africaine de l’économie, Tiffany Callender, expliquait qu’il y a un manque de compréhension [de] la façon dont les personnes noires vivent ou [de ce qui] est intéressant pour elles sur le marché. « Les entrepreneurs ne sont pas compris par les institutions financières [qui ne leur accordent pas de financement] bien souvent parce qu’elles considèrent qu’ils sortent de leur champ d’expertise lorsqu’ils souhaitent se développer en dehors du marché d’origine. » Par exemple, lorsqu’une personne noire a un projet d’affaires qui est tout sauf ethnique ou spécialisé dans le service, tel que la création d’un salon de coiffure ou d’un restaurant atypique, il peut arriver qu’on la questionne davantage sur la raison d’être de son projet.

 

Accéder au capital

Là est le principal défi des entrepreneurs noirs au pays. D’après l’étude de la Chambre de commerce noire du Canada de 2021, seuls 30 % des 53 sondés se disaient à l’aise de discuter de leurs options de financement avec leur institution financière. En d’autres termes : la majorité des entrepreneurs noirs préféraient l’autofinancement. Prudence tout de même avec ce chiffre qui ne représente pas toutes les communautés noires en raison de son échantillon.

Si les données manquent à l’appel, on entend souvent dire que les entrepreneurs noirs évitent de demander du financement à des sources externes, soit parce qu’ils sont découragés des refus, submergés par des garanties et preuves supplémentaires à apporter, soit parce qu’ils n’entrent tout simplement pas dans le moule traditionnel de l’entrepreneur. C’est ce qui expliquerait aussi pourquoi ces communautés semblent avoir moins demandé de soutien financier depuis le début de la crise sanitaire.

Puis, de l’alléchante enveloppe promise en septembre dernier par le fédéral, certains entrepreneurs noirs disent avoir attendu longtemps avant de pouvoir en bénéficier. Si bien qu’ils n’ont eu d’autre choix que de mettre la clé sous la porte.

Directeur régional en développement des affaires de la communauté noire chez TD, Mo Belleus se réjouit néanmoins de l’existence de ce financement. Chaque jour, il tente de créer des liens entre son institution et la communauté via des partenariats ou du mentorat. « Le but est d’accompagner la communauté pour s’assurer qu’elle ait du financement et maximiser ses opportunités pour un prêt, un investissement ou des conseils.» Dans le milieu bancaire, cette stratégie est en vogue aussi bien pour les communautés noires que pour les communautés LGBTQ2+,autochtones, asiatiques. Et quand on ne vise pas un groupe culturel ou ethnique, on peut aussi viser des groupes professionnels, comme ceux de la santé par exemple. « Lorsque des personnes veulent du capital pour un projet d’affaires, cela peut être difficile de faire comprendre en quoi ce projet est important pour la communauté. Et si le bailleur de fonds le comprend moins, le financement peut ne pas répondre aux attentes de l’entrepreneur. »

Littératie financière

Pour Jael Élysée, coordonnatrice au Fonds afro-entrepreneur québécois, la question de la littératie financière lorsqu’on se lance en affaires est primordiale. Les entrepreneurs ont besoin d’être accompagnés avant, mais aussi après l’obtention de leur financement. « L’entrepreneur des communautés noires a changé de profil. Il s’agit souvent d’un jeune professionnel qui a quitté son emploi pour démarrer son entreprise. Les projets d’affaires que l’on reçoit aujourd’hui se concentrent dans des secteurs plus innovants et technologiques, alors qu’avant ils étaient concentrés dans l’import-export, les épiceries ou les soins corporels. C’est un choix assumé, l’entrepreneur prend plus de temps pour réfléchir à son projet et trouver ce qu’ il manque sur le marché et comment se distinguer. »

Mais, bien souvent, la structure, l’organisation et les connaissances financières font remettre en question la demande de financement. Ce qui occasionne un refus des institutions financières qui n’ont pas confiance. « Certains démarrent quand même le projet avec leurs propres fonds et cela donne des entreprises sous-financées qui sont plus fragilisées lorsqu’une pandémie arrive. D’autres n’ont pas accès au financement en raison d’un historique de crédit ou d’avoirs insuffisants, mais aussi parce qu’ils souhaitent se lancer dans un secteur considéré comme à risque. Dans nos communautés, on ne parle pas assez d’argent, bien souvent on ne sait pas ce qui affecte une cote de crédit, c’est pourquoi on doit les accompagner avant qu’ ils n’aillent voir les bailleurs de fonds », pense Mme Élysée.

Accompagner, ça veut dire apprendre à construire des chiffriers, des historiques ou états financiers, structurer et formaliser un projet d’affaires. « Il faut que l’on comprenne les besoins et les barrières auxquelles font face ces entrepreneurs. Si une personne a un projet qui semble un peu ethnique et a du mal à s’exprimer, on ne doit pas douter de son potentiel pour autant. Certains m’ont dit qu’ils ont été obligés de s’associer avec un Québécois blanc pour obtenir du financement ou rencontrer des clients, on ne peut donc pas dire qu’il n’y a pas de biais. »