D’après le dernier dénombrement de 2018, il y aurait 169 ex-militaires en situation d’itinérance au Québec, dont la majorité (72) sont à Montréal. Un chiffre incomplet puisque bon nombre d’entre eux préfèrent ne pas révéler leur statut de vétéran. Si les ex-soldats ne comptent que pour 1,5 % de la population québécoise, ils sont trois fois plus nombreux parmi les itinérants, alors qu’ils représentent 4,5 % de cette population. Richard T.
a été de ceux-là.

Après avoir pratiqué 36 métiers, Richard T. a opté pour la vie de soldat d’infanterie dans les Forces armées canadiennes. Mais après des années d’en avoir trop vu et trop vécu, le corps et l’esprit de cet homme fier ont flanché et il s’est retrouvé sans-abri.

Pendant un an et demi, le vétéran, qui avait perdu tous ses repères, a arpenté les rues de Montréal, allant d’un refuge à l’autre, sans parler de son passé à qui que ce soit. Jusqu’au jour où il a rencontré Roland Cregheur.

« C’est la honte qui t’habite. Je n’ai dit à personne que j’avais été dans l’armée », dit le grand gaillard de 57 ans. À ses côtés, Roland Cregheur, ex-policier militaire et ancien agent de la GRC, vêtu de sa veste de cuir recouverte de patches et d’épinglettes qui témoignent de sa longue carrière de militaire acquiesce. « C’est vrai, les gars ne se confient pas, même pas entre eux », dit-il.

Pour les ex-soldats itinérants comme Richard, la veste de Roland Cregheur, c’est un gage de confiance. Elle démontre qu’il est l’un des leurs, qu’il les comprend, se soucie d’eux, et qu’il a l’esprit de corps. C’est aussi une porte d’entrée pour les rencontres hebdomadaires au Café du soldat où les vétérans sans-abri trouvent un havre de paix, un endroit sécuritaire, mais aussi une issue à la rue.

L’expérience de Richard

Pour parler à L’Itinéraire de son parcours, Richard a fait le long trajet de La Sarre, en Abitibi, jusqu’à la Maison du Père, lieu de notre rendez-vous. C’est aussi là que se trouve le Café du soldat, fondé il y a trois ans par Roland Cregheur à l’intention des vétérans en situation d’itinérance.

Jeune homme, Richard a travaillé dans les mines de l’Abitibi et du Nord de l’Ontario. À 19 ans, après un accident survenu dans la mine de Belmoral auquel il a échappé indemne, contrairement à quatre de ses camarades qui y ont perdu la vie, Richard décide qu’ « y m’enterreront pas vivant ». Il s’enrôle donc dans l’armée au début des années 1980 et part faire son entraînement à la base de Valcartier.

Premier départ en 1984 à la base canadienne de l’OTAN à Lahr en Allemagne, où il va faire ses premières expériences de soldat. Puis de retour au Canada avant d’être renvoyé en Allemagne pour ensuite être déployé en ex-Yougoslavie en 1992. « On est débarqué en Croatie, on était environ 500 troupes. On s’est rendus à Sarajevo où on a passé cinq mois. » La mission de maintien de la paix de l’ONU s’est transformée en mission de l’OTAN face aux conflits qui ont fait quelque 100 000 morts entre 1992 et 1995.

« On l’a eu pas mal rough, on a perdu des collègues. Un a marché sur une mine, d’autres se sont faits descendre par des tireurs d’élite », relate Richard, qui n’aime pas évoquer ses souvenirs douloureux.
Il poursuit : « Ç’a pris 17 jours pour traverser la Bosnie en passant par les petits chemins ; on ne pouvait pas prendre les grandes routes pour éviter les bombardements. On mangeait des rations et on dormait dans nos véhicules, toujours prêts à partir ».

Les souvenirs d’enfants sales, au ventre distendu par la malnutrition ne le quittent pas. Des vieux sans défense, la misère. « Aujourd’hui, que je vois quelqu’un faire mal à un enfant ! », s’exclame-t-il.

De retour à Valcartier, Richard devient technicien d’armement. « Je n’aimais pas ça. Et c’est là que tous les petits problèmes ont commencé. J’ai été déclaré post-traumatique. Je ne les ai pas crus. J’ai tout câ…ssé là. La volonté et le moral n’y étaient plus. »