Tournant de ma vie

Comme plusieurs de mes clients le savent, je me suis accroché les pieds dans les bars après mes études. Au départ, ce travail d’été n’était qu’une solution temporaire. Je pensais le faire pour mon fils, pour qu’on vive mieux. Mais la réalité était toute autre. Ce n’était pas seulement un gagne-pain : j’avais un immense besoin d’approbation, des hommes en particulier.

À ce moment-là, je n’étais pas consciente de cette carence infantile. Mon côté séduction a pris le dessus. L’argent rapide m’aidait à devenir une femme en apparence accomplie. J’ai donc continué longtemps dans ce pattern qui a été nocif à long terme. Dire que je voulais devenir une bibliothécaire. Bon, on y repensera…

Pour tout vous dire, avec du recul, je prends conscience que c’est moi qui me suis imposée certaines de ces épreuves. Même si je me suis sortie aujourd’hui de tout ce bordel, j’éprouve quand même des regrets pour ce que j’ai fait vivre à mes proches, surtout à mon fils. J’aurais vraiment aimé qu’il soit fier de moi.

L’arrivée au groupe

C’est une amie qui était camelot qui m’a fait connaître L’Itinéraire. Vendre un magazine au coeur du centre-ville de Montréal, ce n’est pas banal ni évident, même aujourd’hui. Lorsque je suis entrée à la cafétéria, je suis tombée sous le charme de cette ruche d’abeilles bouillonnante d’idées et de projets.

Si je conserve des séquelles importantes de mon ancienne vie, je ne suis pas là pour m’apitoyer. Je demeure sur mon spot, pour essayer d’égayer la journée des gens. Je garde le sourire autant que possible.

Un camelot, c’est d’abord ça sa job, c’est d’être là pour les passants. Parfois, les clients se confient et cela donne un sens au travail, un sens à la vie. On renforce notre estime en parlant aux gens qui daignent s’arrêter quelques minutes.

Depuis le début, L’Itinéraire m’a aidée dans plusieurs domaines et j’en suis très reconnaissante. J’ai de nouveau des projets d’études qui me tiennent à coeur, et ce, grâce au magazine et aux clients qui m’ont si généreusement encouragée dans mes démarches.

Il y a 25 ans, le journal se préparait à devenir le magazine qu’il est aujourd’hui. Parce que L’Itinéraire c’est bien plus qu’un magazine : c’est du soutien psychosocial, de l’aide alimentaire, de l’aide au logement, une cafétéria accueillante, des camelots tous plus uniques les uns que les autres sans compter bon nombre de bénévoles qui embrassent la cause et m’aident à devenir encore meilleure.

Je compte toujours retourner aux études en septembre. Mais ce n’est pas pour quitter L’Itinéraire.

Photo : Milton Fernandes

Il y a 25 ans, j’avais la tête pleine de projets et le coeur rempli d’espoir. Honnêtement, il y a 25 ans, je n’aspirais pas à devenir camelot dans la vie, mais les choix que j’ai faits m’ont menée vers cet organisme communautaire. Et, comme dirait Édith Piaf : non, je ne regrette rien.

En 1994, alors que le journal en était à ses premiers balbutiements, j’étais de mon côté assez loin d’un point de vue géographique, mais assez près de ma réalité d’aujourd’hui. Je vous explique.

À cette époque, je demeurais au Saguenay avec un enfant âgé de deux ans. Je m’affairais à retourner sur les bancs d’école pour terminer mon DEC au Cégep de Jonquière en technique de la documentation.

Cependant, ma situation financière était vraiment précaire. Ce fut donc l’année des carottes, des macaronis au jus de tomate, et des toasts au beurre de pinottes. Ma situation familiale n’était pas, elle non plus, très joyeuse.

Mise en contexte

Un an auparavant, j’avais décidé de quitter le père de mon fils parce qu’il voyait déjà en sa progéniture un futur criminel, un vendeur de drogue digne des films d’Al Pacino. Ce qui, soit dit en passant, m’a mis dans une merde financière terrible. Lorsque je l’ai quitté, il ne voulait pas prendre ses responsabilités parentales.

Après quelque temps, ses liens avec le crime organisé l’ont mené tout droit derrière les barreaux. Il a reçu une sentence pour un crime qu’il n’avait pas commis : six ans de pénitencier pour holdup. Robin finira par se suicider.

Malgré le manque d’argent, j’ai quand même poursuivi mon projet d’études, j’ai accepté de me débrouiller seule. Je suis donc devenue étudiante à temps plein et cheffe de famille monoparentale. Il fallait cependant que je m’éloigne du milieu dans lequel j’étais pour accomplir mon projet.

J’ai pris mes distances de la vente de drogue, mais aussi de mes amis toxiques. Difficiles décisions, mais combien vitales pour la jeune vie de mon enfant. Nous étions juste lui et moi. L’année 1994 a été difficile, mais j’aimais étudier ; je tiens cela de mon père. Je voulais avoir une carrière pour mon fils, pour qu’il soit fier de moi.