Du haut de ses 25 ans, Émile Bilodeau est ce genre d’artiste qui écrit sa société. En show avec sa guitare, il décrit son Québec, sans mâcher ses mots. Son tout dernier album, Petite nature, le prouve: entre noirceur et luminosité, il presse de parler de nos écueils sociaux pour qu’on puisse, ensemble, les rectifier. Et il griffonne des bouts de vie sur papier, souvent branché à l’actualité, pour ancrer ses tounes dans un présent et les rechanter plus tard en se disant fièrement : « Je me souviens ».

Curieux de nature, Émile Bilodeau a en lui ce côté rassembleur et quelque peu candide. Impatient de remonter sur la scène, il a vécu la pandémie d’un confinement à l’autre, en espérant très vite revoir son public. « J’ai perdu mon rendez- vous avec le public pendant cette pandémie. Il y a eu un vide qui m’a fait réaliser que mon travail me procure énormément de bonheur », confie-t-il. Être sur la route avec ses amis, rire et partager des émotions sur la scène, donner le meilleur de lui en performance, c’est tout ça la chanson pour lui.

Dans Petite nature, on sent néanmoins que le ton change par rapport à ces deux autres albums qui ont cartonné. D’autres ambiances tentent de se frayer un chemin et elles sont sans doute un peu plus trash, même si elles sont narrées parfois avec humour. « C’était des jours gris, il ne faisait pas beau dehors et de toute façon, il fallait rester en dedans. C’était une double quarantaine, une double vulnéra- bilité, visuelle et expérimentale d’un phénomène qu’on a tous vécu à notre façon », dit le chanteur qui était seul chez lui à se remettre maintes fois en question.

Confiné, face à lui-même et dans ses moments de déprime, il s’est questionné sur les raisons de sa célébrité, sur ce qu’il était et ce qu’il représentait pour les autres. « Je n’avais pas une saine alimentation, je consommais de l’alcool seul, je me levais et me couchais tard… J’écoutais les points de presse de François Legault qui était rendu mon meilleur chum dans la maison alors qu’il était à la télé… ça n’avait pas d’sens quand on y pense! »

Mais, il y a eu aussi du beau dans tout cela. Comme la fois où il a fait fi des mesures sanitaires pour se trouver un chalet en Estrie et y amener son frère qui n’allait pas bien. Émile Bilodeau le sentait et ne pouvait pas le laisser comme ça. Il est allé le chercher pour le soutenir. Le matin, ils déjeunaient, la journée, ils allaient courir ensemble et le soir ils chantaient. Entre tout cela, son frère parvenait à suivre ses cours à l’université sur Zoom.

Et puis, le beau de la pandémie, c’était aussi lorsqu’il partait en vélo à 45 minutes de son appartement de Rosemont pour donner des cours de chant dans une école primaire. Y aller lui a redonné un certain dynamisme dans sa vie. « Ils étaient là, ces jeunes, pleins de sourires et de vie et il y avait tant de diversité culturelle. Des jeunes filles voilées jouaient avec des Tremblay alors qu’on parlait de la Loi 21 sur la laïcité et qu’on se chicanait entre nous, mais… Les enfants, ça s’en fout ben raide de comment tu t’habilles ou de quelle couleur tu es et je me suis beaucoup nourri de cette expérience quand je prenais position publiquement. »