Si l’effritement du réseau social avance avec l’âge, les baby-boomers se retrouvent fréquemment avec un sentiment d’inutilité. Pour certains, vivre seul est un phénomène qui s’amplifie à Montréal, car un aîné sur trois vit seul sur ce territoire, selon le Portrait des aînés de l’île de Montréal réalisé par la Direction de la santé publique de Montréal. Des liens entre la solitude et la mort prématurée s’intensifient, tandis que des nouvelles craintes font leur apparition. Phénomène des âmes esseulées sous la loupe.

« Se sentir extrêmement seul peut accroître de 14 % le risque de mort prématurée chez une personne âgée. L’impact est aussi néfaste que le fait d’être défavorisé socialement », écrit John Cacioppo, auteur de Loneliness: Human Nature and the Need for Social Connection. Citant plusieurs études scientifiques publiées en 2010, il révèle que le sentiment de grande solitude s’accompagne souvent d’un sommeil perturbé, d’une tension artérielle élevée, d’une altération du système immunitaire et d’un accroissement des états dépressifs.

Affecté par la solitude

Pour le baby-boomer Daniel Richer, 67 ans et camelot de L’Itinéraire au métro Villa-Maria, l’isolement qu’il ressent face à la société le laisse pantois. « La solitude, ce n’est pas évident; j’essaie de sortir et faire beaucoup de marche pour me changer les idées. J’apprécie aussi d’aller voir des spectacles, fréquenter des lieux publics, comme les parcs ou aller au café du Groupe communautaire L’Itinéraire, affirme-t-il. La période la plus lourde pour les baby-boomers c’est l’hiver, car c’est difficile de sortir dû au fait que les trottoirs sont mal dégagés et glacés. Les risques de blessures sont plus importants. Même en été, les personnes âgées sont plus réticentes et peureuses à sortir le soir. » La sédentarité chez les personnes du troisième âge est plutôt un mode de vie constant, estime-t-il.

La menace de l’isolement

D’ici 20 ans, la proportion d’aînés représentera un quart de la population montréalaise. En 2016, Montréal comptait 323 660 personnes âgées de plus de 65 ans, soit 17 % de la population totale. Le nombre projeté d’aînés en 2036 atteindra 465 800 personnes. L’isolement social constitue un facteur de risque majeur pour la santé des aînés, avec une incidence démontrée sur la santé physique, psychologique et cognitive. Pourquoi la solitude est-elle une menace pour la santé publique ?

« Il existe des preuves solides que l’isolement social et la solitude augmentent considérablement le risque de mortalité prématurée et l’ampleur du risque dépasse celle de nombreux indicateurs de santé de premier plan », a déclarait Julianne Holt-Lunstad, professeure de psychologie à l’Université Brigham Young, dans un communiqué sur la recherche impliquant plus de 300 000 personnes étudiées.

Elle a ainsi constaté des effets du lien social sur la santé, prouvant que les personnes ayant des liens sociaux avaient un risque 50 % moins élevé de mourir tôt par rapport aux personnes qui n’avaient pas de cercles sociaux forts. Les études ont mis en relief que la solitude, l’isolement et la vie seule ont eu un effet significatif sur le risque de mort prématurée d’une personne. Les chercheurs ont par ailleurs suggéré que l’impact était similaire à l’effet de l’obésité sur les taux de mortalité.

Divorcé depuis 1983, Daniel a eu quelques fréquentations « sporadiques, mais rien de sérieux ». À l’heure actuelle, il vit dans un immeuble subventionné d’une trentaine de logement de personnes retraitées seules dans le quartier Rosemont. « Où je vis, il y a deux jardins avec des balançoires et c’est l’une des seules occasions de se fréquenter. J’aimerais suggérer qu’on installe un terrain de pétanques. Nous avons par ailleurs une salle communautaire qui n’est pas utilisée, relate-t-il. Malgré que je sois le père de trois enfants, ceux-ci ont des responsabilités familiales, alors la famille n’est pas toujours présente, ce qui est un motif d’isolement. De plus, à mesure qu’on vieillit, notre cercle d’amis diminue à chaque année », déplore-t-il.

Sentiment d’inutilité

C’est 14 % des Montréalais aînés qui disent ne jamais sentir qu’ils apportent quelque chose d’important à la société. Chez les plus de 75 ans, ce chiffre grimpe à 18 % (en comparaison, à 6 % chez les 45-64 ans).

La hausse du nombre de personnes très âgées s’annonce considérable, notamment chez les centenaires : ils sont passés de 370 en 2006 à 645 en 2016. Dans une entrevue de 2016 avec Fortune, John Cacioppo a soutenu que la solitude a un effet physique et psychologique sur la santé des gens: « [la solitude] est mauvaise pour votre santé mentale: le bien-être diminue, les symptômes dépressifs augmentent, votre probabilité de développer des troubles mentaux et affectifs augmente », a-t-il déclaré.

L’âge d’or sur les réseaux sociaux

Les personnes âgées vont de plus en plus sur les réseaux sociaux pour tromper leur solitude et pour nombre d’entre elles, cela constitue leur planche de salut. En 2014, peu importe le niveau de revenu ou d’éducation, les médias sociaux étaient utilisés par deux Québécois sur trois parmi les plus de 65 ans.

« Ça désennuie, mais ce n’est certainement pas comme la chaleur humaine. On a tous besoin de contacts humains, peu importe l’âge. Ce sont des communications assez éphémères; on ne parle pas vraiment des vraies affaires. Mais ça reste un bon outil de désennuie, surtout l’hiver, car l’été on veut profiter de la température », raconte Daniel, estimant toutefois que Facebook est un bon moyen de communication et de loisir pour les personnes âgées.

 

Émancipation des femmes

Malgré que le fait de vivre seul n’est plus mal vu ou stigmatisé socialement, les personnes seules sont davantage représentées par les femmes, qui ont eu des carrières et ont développé leur indépendance. Habiter seul devient un nouveau mode de vie et les baby-boomers changent de façon radicale le portrait du couple âgé. Les divorces démocratisés, l’arrivée de l’union libre, l’entrée massive des femmes sur le marché du travail vont de pair avec l’idéologie individualiste – obligée ou par choix. Depuis 30 ans, le nombre d’aînés qui ont divorcé ou se sont séparés a triplé, relève Statistique Canada.