L’année dernière, plus de 70 villes américaines ont adopté une loi qui interdisait ou restreignait le don de nourriture aux citoyens pauvres et sans-abri, à l’extérieur. Alors que le débat tourne autour de la question à savoir si cet acte de générosité ne perpétue le problème et détourne les personnes dans le besoin des services, le militant et cofondateur de Food Not Bombs Keith McHenry soutient que le système échoue à saisir l’ensemble de l’enjeu.

La ville de Phoenix en Arizona, est une de ces municipalités qui prétendent que les programmes d’alimentation en plein air empêchent les sans-abri d’obtenir de l’aide qu’ils peuvent autrement obtenir en mangeant dans des ressources intérieures.

En septembre dernier, une radio publique nationale a déclaré: « Ne nourrissez pas les gens qui vivent dans la rue » , un message véhiculé par la ville de Phoenix. Le personnel de la municipalité a déclaré qu’il était nécessaire de ce faire pour protéger les personnes vulnérables, les quartiers et les entreprises.

Riann Balch, directeur adjoint du Département des services humains de Phoenix, a ajouté : « C’est habituellement une conversation difficile au départ, car le don de nourriture est vraiment quelque chose qui est enraciné comme un bon moyen d’aider dans nos communautés. »

Lorsque des groupes religieux et communautaires offrent des repas aux sans-abri ou organisent de l’aide alimentaire à horaires fixes dans la rue, ils reçoivent souvent des mots de gratitude, mais Balch dit qu’ils doivent aussi tenir compte d’autres considérations. « Ils [les groupes] prolongent l’itinérance en donnant à la personne ce dont elle a besoin pour rester dans la rue ».

Par ailleurs, du côté de la Floride, le juge fédéral de district William Zloch a statué que l’ordonnance n u00b0 C-14-42 de la ville de Fort Lauderdale restreignant la distribution de repas aux sans-abri à l’extérieur était en fait légale. Or les fonctionnaires municipaux ont engagé la firme de consultants Marbut pour les aider à justifier leur loi qui s’oppose à nourrir les gens qui ont faim dans la rue.

En novembre 2014, Robert G. Marbut Jr., a défendu la loi de la ville lors de l’émission de radio publique nationale Morning Edition en affirmant: « Si vous donnez de l’argent dans la rue, généralement environ 93 % va à l’alcool, la drogue et la prostitution. Et si vous donnez de la nourriture dans la rue, vous contribuez de façon détournée, mais importante à empêcher les gens d’entrer dans des programmes de rétablissement qui exigent un engagement 7 jours sur 7, 24 heures par jour.

L’un n’empêche pas l’autre

Keith McHenry lors de son arrestation pour le partage de nourriture gratuite à San Francisco en 1988. La police de San Francisco a arrêté près de 1000 bénévoles pour avoir donné gratuitement des repas végétaliens avec Food Not Bombs entre 1988 et 1997. Photo: Food Not Bombs

Selon Keith McHenry, la théorie voulant que « l’aide alimentaire de rue augmente et favorise l’itinérance » présume généralement que les sans-abri le sont parce qu’ils sont alcooliques ou toxicomanes et que, s’ils mangeaient dans une ressource à l’intérieur, ils auraient accès à des programmes de rétablissement. Il estime que l’un n’empêche pas l’autre.

M. McHenry, qui fournit de l’aide alimentaire dans la rue depuis 36 ans cite en exemple une jeune femme du nom de Little Bit qui cherchait désespérément à vaincre sa dépendance au crack. « Elle mangeait avec nous tous les lundis à l’entrée du pont Golden Gate à San Francisco. Je l’ai emmenée à un centre de désintox local et ils ont consenti à la soigner gratuitement. Puisque son entrée en « rehab » n’était six semaines plus tard, je l’ai encouragée à venir manger avec nous chaque semaine. J’ai noté pour elle son rendez-vous et lui ai rappelé chaque fois que je la voyais. Finalement, le jour de son admission, elle est venue manger à Food Not Bombs et j’ai pu l’emmener au centre. Des mois plus tard, Little Bit est revenue me voir, bien habillée et pleine de gratitude du fait qu’elle a pu emprunter le chemin de la sobriété avec un programme de rétablissement, auquel elle a eu accès grâce à un repas partagé dans la rue. » C’était il y a 20 ans. Mais des cas comme celui de Little Bit sont nombreux, affirme le militant.

« Comme nous encourageons ceux qui viennent nous voir pour manger participent d’égal à égal avec nous pour faire fonctionner nos chapitres locaux de Food Not Bombs, il est plus probable que ces gens avec qui nous partageons des repas vont gagner de l’estime d’eux-mêmes. C’est ce genre de respect dont ont besoin les gens pour changer leurs vies. Interdire l’aide alimentaire dans la rue ne fera rien pour mettre fin à l’itinérance. » (Spare Change News / INSP)