Professeure au département de sociologie de l’UQAM, Francine Descarries est l’une des fondatrices de l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF) et était, jusqu’à tout récemment, directrice scientifique du Réseau québécois en études féministes (RéQEF). Nous avons eu la chance de parler à cette grande dame dans le cadre du 50e de l’UQAM.

L’UQAM célèbre son 50e anniversaire cette année. Quel impact a eu cette institution sur votre carrière et pour les études féministes en général ?

Le seul fait d’être choisie par cette université a eu un impact considérable sur ma trajectoire. Quand j’ai été engagée, je ne connaissais pas l’UQAM tant que ça mais j’ai vite compris que c’était une université où les possibilités étaient immenses. Je suis arrivée dans le début des années 1980, donc il y avait plein de choses qui pouvaient se développer. Il y avait une volonté de la part de la direction comme de celle des professeurs, des chargés de cours et des étudiants d’être des agents de changement. C’est ce qui a permis à mes collègues et moi d’instaurer les études féministes et de leur donner l’importance qu’elles ont acquise. À ses débuts, l’UQAM était une université de premier cycle, elle se voulait et se veut encore populaire. Elle voulait ouvrir des créneaux et attirer une nouvelle clientèle. Beaucoup de femmes, de militantes et de féministes se sont rapidement aperçues qu’elles étaient les éternelles oubliées de la science, de la science des hommes. Elles ne se reconnaissaient pas dans le discours et dans les connaissances produites.

En termes plus savants, on a reconnu l’androcentrisme du savoir, de la façon de produire ce savoir et de le communiquer. Très rapidement dans les années 1970, des jeunes profs et des chargées de cours ont senti la nécessité de se réunir. Le premier cours d’étude féministe à l’UQAM a été offert en 1972. Concordia donnait déjà un cours, mais dans le milieu francophone, ça a été le premier. C’était un immense cours qui recevait plus de 200 étudiants. Puis, dès 1976, un groupe s’est formé, le GIERF (Groupe interdisciplinaire d’enseignement et de recherche féministes), qui dans une certaine mesure, a été le premier regroupement de femmes professeures et de chargées de cours dans une université francophone. Au début des années 1980, il commence à avoir une masse critique et les cours se multiplient dans les départements. Vous remarquerez qu’on parle d’études féministes et non de Women’s Studies ou de département d’études féministes. Notre volonté était de nous implanter dans toutes les matières et de les questionner, ce qui a eu un impact assez considérable. Par contre, le travail n’est pas terminé. Le savoir féministe est de plus en plus présent, mais on ne peut pas dire qu’il a submergé l’ensemble des disciplines et des connaissances.

Est-ce que les études féministes sont reconnues à leur juste valeur ?

À l’UQAM, je dirais que oui. En 1990, le GIERF devient un institut. Donc, l’UQAM reconnaît la pertinence de développer un champ d’étude féministe et y a apporté un appui réel. Mais, dans le milieu universitaire en général, ça demeure quelque chose d’un peu marginal. Sauf que le succès rencontré, la popularité de nos études et la qualité de nos étudiantes font qu’on est quand même obligés de reconnaître leur pertinence. Depuis 30 ans, cela donne des résultats. L’Institut de recherche et d’études féministes est reconnu dans toute la francophonie. Son leadership a été suffisamment fort pour qu’on puisse, à partir de l’UQAM, développer ce qui est maintenant le Réseau québécois en études féministes (RéQEF), que j’ai dirigé pendant neuf ans. Le réseau regroupe plus de 100 chercheuses dans toutes les universités du Québec, 200 étudiantes et de 15 à 20 personnes des groupes communautaires qui font de la « co-construction » de connaissances. Je dis toujours qu’on a traversé trois périodes : l’émergence, la consolidation, et maintenant, l’ouverture.