L’entrevue avec Hubert Reeves
À 85 ans, Hubert Reeves semble être encore dans une forme resplendissante. À l’occasion de la sortie de son livre J’ai vu une fleur sauvage, l’astrophysicien nous a accordé une entrevue depuis sa résidence à Paris. Il nous a parlé de ses préoccupations quant à l’environnement, de son amour de la nature, des fleurs… et des étoiles.
M. Reeves, vous abordez toujours le thème de l’environnement avec aplomb. Pensez-vous qu’on est en train de détruire à petit feu notre planète avec l’exploitation des richesses, la déforestation, le gaspillage et la pollution ?
Quelquefois « à petit feu », quelquefois « à grand feu ». Par exemple, les belles forêts de l’Amazonie ou de l’Afrique, comme au Congo, on les brûle « à grand feu ». Et c’est vraiment dommage, parce qu’on détruit des forêts vraiment magnifiques qu’on ne retrouvera plus.
Dans le Grand Nord du Québec, on est en train de déplacer la faune et la flore. Tous ces animaux, ces troupeaux de caribous n’ont plus leur place et ils sont obligés de se déplacer. Constatez-vous tout cela ?
Oui, j’ai vécu 30 ans au Québec et même si j’habite en France désormais, j’entends tout cela, je lis cela, je consulte des rapports. Au Québec, effectivement, il y a des endroits où on détruit l’environnement rapidement et il faut faire quelque chose contre ça, nous sommes bien d’accord. De par sa nature, l’humanité saccage, et ce n’est pas nouveau. Nos ancêtres les plus lointains saccageaient déjà notre planète, mais comme ils n’étaient pas nombreux, ça n’avait pas tant d’impact. Ce qui est grave maintenant, c’est que nous sommes beaucoup plus nombreux, et que nous avons des instruments qui peuvent couper des arbres plus vite que dans le passé. On devient plus puissants, plus habiles pour détruire la forêt, pour vider l’océan de ses poissons. Par exemple, vous savez qu’au Québec, aux alentours de la Gaspésie, il y avait énormément de morue. Quand j’étais enfant, on allait la pêcher mais on n’y va plus maintenant, tout simplement parce qu’il n’y en a plus.
Est-ce possible que ce soit nous, les humains, qui sommes responsables des changements climatiques ? Est-ce que les compagnies font des profits au détriment de l’écosystème ? Selon vous est-ce que la Terre est en train de tomber malade ?
Il y a un conflit entre les profits et la santé des hommes et des forêts. On met trop de poids pour le profit immédiat au détriment de l’environnement et en même temps, on malmène la planète d’une façon grave. On détruit la forêt, on détruit les écosystèmes, on rend les océans plus acides.
Vous venez d’écrire un livre intitulé J’ai vu une fleur sauvage. Pourquoi un astrophysicien s’intéresse-t-il aux fleurs ?
Ça vient de ma grand-mère. Quand j’étais enfant, elle nous emmenait dans son petit jardin pour planter des fleurs et des arbres, et j’y ai pris goût. La plupart du temps, on ne fait pas attention aux fleurs qui nous entourent. On est assis dans nos voitures, on voit la nature à travers nos vitres, mais on oublie d’observer toute sa beauté. Oui il y a la beauté dans les étoiles, j’en ai parlé dans beaucoup de livres. Mais je pense que c’est tout aussi important de voir les étoiles qui sont tout près de nous, celles sur lesquelles on marche. Je ne parle pas des fleurs qu’on voit dans les boutiques mais de celles qui sont sous nos pieds, quand on se balade dans les bois, dans les prairies. C’est pour ça que j’ai écrit ce livre, pour donner des outils aux gens pour connaître les fleurs, leurs noms, afin qu’elles deviennent comme des amis.
Est-ce que cela veut dire que les fleurs font partie du cosmos ?
Absolument ! C’en est une partie importante. En fait, les fleurs nous permettent de vivre. On mange des plantes, on mange du blé. Les fleurs, les plantes, les légumes sont essentiels pour nous.
Quand vous serez parti, quel héritage aimeriez-vous léguer à vos enfants, vos petits-enfants ?
Je pense que ce que les parents doivent léguer à leurs enfants, c’est le plaisir d’être dans la nature. Ce n’est pas la peine de faire de longs discours. Si les enfants s’aperçoivent que vous aimez être dans la nature, au bord de l’eau, eux-mêmes y prendront plaisir. En vivant tout le temps en ville, sur le ciment, sur la rue, sans voir la nature, jamais ils n’arriveront à l’aimer.
En quelques mots, pourriez-vous nous expliquer ce qu’est un astrophysicien ?
Un astrophysicien, c’est quelqu’un qui étudie les étoiles et les planètes pour essayer de comprendre comment elles fonctionnent : comment elles naissent, comment elles vivent, comment elles meurent. Comment, à sa mort, une étoile disperse des atomes, car les étoiles sont des usines à fabriquer des atomes. Les atomes de notre corps, comme le carbone, l’azote ou l’oxygène, ce sont des atomes qui ont été fabriqués par des étoiles mortes dans le passé. C’est ça, un astrophysicien : c’est quelqu’un qui observe le ciel et qui essaie de comprendre ce qui s’y passe. « Astro » pour « astre », bien sûr (les planètes, les étoiles, les galaxies), et puis physicien, pour la compréhension des lois de la physique. Vous avez la recette.
Vous avez écrit un livre intitulé Poussières d’étoiles. Pourquoi écrivez-vous que les êtres humains sont des « poussières d’étoiles » ?
L’humain est fabriqué d’atomes. Quand vous prenez votre douche le matin, vous touchez vos tissus qui sont des atomes, et ces atomes n’ont pas toujours existé. Ils ont été fabriqués il y a plusieurs milliards d’années, comme les étoiles. Quand elles sont mortes, elles ont rejeté dans l’espace les atomes qu’elles ont fabriqués et nous, nous sommes fabriqués à partir de ces atomes.
Que sait-on aujourd’hui sur la formation de l’Univers ? Et sur la formation de notre système solaire ?
Il y a des bibliothèques complètes à ce sujet, mais je vais vous le résumer. D’abord, on sait que notre Univers n’a pas toujours existé. Il a un âge, comme nous. Maintenant, on sait que son âge est d’à peu près 14 milliards d’années. On ne sait pas très bien comment il est né, mais on sait que cela a ressemblé à une énorme explosion avec de la matière très chaude. Et tout autour, cette matière s’est ensuite refroidie. C’est ce qu’on appelle le Big Bang, un gros « boum ».
Si, scientifiquement parlant, il est possible d’aller sur Mars, par exemple, pourquoi devrait-on y aller ? Que cherche-t-on, au juste ?
L’idée est de comprendre. Vous m’avez demandé ce qu’on sait du système solaire. Pour savoir des choses sur le système solaire, il faut aller dans l’espace, de la même manière que pour savoir quelque chose sur un autre pays, vous avez intérêt à le visiter. On va sur la Lune pour connaître son histoire, essayer de comprendre comment c’est arrivé, comment sont apparus la Terre, le Soleil, etc. Les êtres humains veulent comprendre. Ils sont nés dans un univers et un beau jour, ils se sont demandé : « Où suis-je ? Qu’est-ce que je fais ici ? ». On a toujours eu soif de connaissances. Ça, c’est l’idée fondamentale pour laquelle on va sur d’autres planètes : on veut comprendre comment fonctionne le monde dans lequel nous sommes. Et la seule façon de le faire, c’est d’y aller.
La compagnie SpaceX développe le tourisme spatial, pensez-vous que c’est une bonne idée ? Si on vous offrait un voyage à bord de l’une de ces capsules, accepteriez-vous ?
Si on me l’offrait, j’irais tout de suite ! Je suis curieux. C’est comme aller en voyage, découvrir d’autres peuples, d’autres pays. Si on a les moyens de le faire, tant mieux. J’irais tout de suite dans l’espace si on me le proposait… et si j’avais 30 ans, car je pense qu’aujourd’hui, on me trouverait trop âgé pour ça ! (rires)
On a découvert de nouvelles exoplanètes, à quelque 32 années-lumière de la Terre. Est-ce qu’on pourrait trouver de nouvelles terres habitables ou d’autres êtres vivants, à des endroits aussi éloignés ?
C’est tout à fait possible. C’est une question qu’on se pose. Les êtres humains s’intéressent beaucoup à ce sujet : est-ce qu’il y a d’autres êtres vivants que nous dans l’Univers ? Alors on va explorer pour voir s’il y a d’autres endroits où il y a de la vie, mais peut-être pas des êtres humains, des bactéries ou des animaux, comme ici. Tout ça, on ne le saura pas tant qu’on ne sera pas allé voir.
Est-il possible qu’on soit seuls dans l’Univers ?
Il est possible qu’on soit seuls comme il est possible qu’il y ait de la vie ailleurs. À votre question : « Sommes-nous seuls ? », ma réponse est : « On n’en sait rien ». On va donc essayer de le savoir, on va explorer, et si on trouve quelque chose, on va tenter de communiquer.
Ne trouvez-vous pas qu’on a assez de problèmes à régler sur Terre ? Pourquoi mettre autant d’énergie et d’argent à aller voir s’il y a de la vie ailleurs ?
Quand on envoie une fusée dans l’espace, ce qui coûte cher, c’est sa fabrication. Mais cette fabrication, ce sont les salaires des gens qui y ont travaillé. Évidemment, la préparation des fusées coûte de l’argent, mais cet argent reste sur Terre, dans les familles des gens qui ont participé à leur construction. Cet argent-là fait avancer l’économie. C’est faux de dire qu’on envoie des choses coûteuses dans l’espace, ce n’est pas comme si y on envoyait des diamants ; ce qu’on envoie ne coûte concrètement presque rien, c’est juste un peu de métal.
À première vue, il semble que les discours religieux et scientifique ne fassent pas bon ménage. En tant qu’astrophysicien, croyez-vous que science et religion peuvent cohabiter ?
Tout à fait. Je connais des scientifiques et des savants qui sont croyants, j’en connais d’autres qui ne le sont pas du tout. Cela n’a aucune importance, chacun est libre d’avoir son opinion, et c’est très important que les gens aient le droit de croire ce qu’ils veulent. Il faut être tolérant et accepter le fait que des gens ne pensent pas comme nous. Moi, je ne suis pas croyant dans le sens habituel, mais j’ai beaucoup d’amis qui sont très croyants et qui sont d’excellents scientifiques. Ce sont deux domaines complètement différents : il y a le domaine religieux, ce à quoi je crois, et le domaine scientifique, parce que je suis un professionnel de la science. Pour moi, il n’y a aucun conflit possible entre les opinions religieuses et la science.
Le scientifique sait, tandis que le religieux croit à quelque chose qu’il ne voit pas. Le premier se base sur un raisonnement empirique, tandis que le second se base sur des croyances…
Je parle à votre place : « La science, ce sont des choses empiriques, des choses que l’on peut vérifier. La foi, ce sont des choses que l’on ne peut pas vérifier. » En effet, vous pouvez voir des avions, mais vous ne pouvez pas voir des personnages divins. Il y a des choses qu’on peut voir et qu’on peut donc contrôler et il y a des choses qu’on ne peut pas. Par exemple, est-ce que vous croyez que votre vie a un sens ? Vous ne le verrez jamais. C’est à vous de le décider : si vous dites que Dieu existe, eh bien Dieu ne va pas apparaître pour vous prouver qu’il existe. Ce n’est pas non plus la science qui vous le dira, c’est vous qui direz : « J’y crois même si je ne le vois pas. » Vous voyez la différence ? Il y a des choses qu’on peut contrôler, d’autres qu’on ne peut pas. Votre vie a-t-elle un sens ? Dieu existe-t-il ? Qu’y a-t-il après la mort ? Toutes ces questions sont importantes, mais la science ne pourra sans doute jamais y répondre.
Il vous est probablement arrivé, par une nuit d’été, de lever la tête et de regarder vers le ciel. Pensez-vous que Dieu pourrait se trouver quelque part parmi ces millions d’étoiles ?
Je n’ai pas de réponse personnelle à ce sujet, et je ne peux pas vous dire si je crois que Dieu existe ou non. Pour moi comme pour vous, c’est une question sans réponse. J’aime citer Woody Allen qui disait : « Si Dieu existe j’espère qu’il a une excuse ! »
Quand vous êtes dans votre jardin parmi vos fleurs, êtes-vous toujours fasciné par les merveilles de la nature qui vous entoure ?
Absolument. Je suis toujours émerveillé. Je n’en finis jamais d’être émerveillé.