Le 25 mai, des policiers de Minneapolis ont arrêté George Floyd, un homme noir de 46 ans, après l’appel d’un employé de l’épicerie où il venait d’acheter des cigarettes. Il était accusé d’avoir payé avec un faux billet de 20 $. Dix-sept minutes après l’arrivée de la première voiture de police, M. Floyd était mort.

La reconstitution des faits par le New York Times indique que les officiers ont effectué une série d’actions violant les politiques du département de police de Minneapolis. Depuis, les quatre policiers impliqués ont été limogés par leur département de police, le procureur du comté de Hennepin a ouvert un dossier d’accusations de meurtre et d’homicide, puis volontaire, contre Derek Chauvin, l’officier  qui bloquait George Floyd au sol avec son genou sur le cou.

Dans les vidéos des témoins, on distingue clairement M. Chauvin, un officier blanc ayant 17 plaintes à son dossier, le maintenir au sol avec le genou sur son cou pendant huit minutes et 46 secondes. Celui-ci n’a montré aucun signe de résistance, exception faite de ses implorations. « M. Chauvin n’a pas retiré son genou, indique le NY Times, et ce, même après la perte de connaissance de M. Floyd. Cela a duré jusqu’à une minute après l’arrivée des paramédicaux. Les trois autres officiers ont bel et bien participé à l’arrestation
et sont sous enquête. » La mort de M. Floyd a engendré des manifestations massives dans plusieurs villes aux États-Unis et ailleurs, réclamant que justice soit faite.

C’est le cas à Toronto, où la mort d’une femme noire lors d’une intervention policière le 29 mai, alimente de nombreuses interrogations. Plusieurs affirment que les policiers ont délibérément poussé la victime du balcon. Le rapport indique que les agents se trouvaient dans l’appartement de l’avenue High Park, près de Glenlake, pour enquêter sur une dispute familiale. Quelques instants plus tard, Regis Korchinski-Paquet, 29 ans, serait tombée mortellement du 24e étage. Montréal aussi été le théâtre de dérapages policiers.
Citons en exemple les affaires d’Alain Magloire, d’André Benjamin ou encore de Fredy Villanueva, tous trois décédés à la suite d’interventions policières. Les personnes noires, arabes ou autochtones de 25 à 34 ans ont cinq fois plus de risques de se faire interpeller par la police que les personnes blanches du même âge, selon le rapport sur la discrimination systémique du Service de police de la Ville de Montréal rendu public en octobre 2019.

L’Unité des enquêtes spéciales, appelée à ouvrir une enquête lorsqu’un civil est tué ou gravement blessé pendant une intervention policière ou lorsqu’un agent est soupçonné d’agression sexuelle, examine les circonstances de cette mort.

« Le profilage et le racisme sont des affaires québécoises »

Chef du service de police de Longueuil, Fady Dagher est troublé par les dernières manifestations à Montréal qu’il tient absolument à différencier des saccages qui ont fait la une de certains journaux. Il a été ému de voir des policiers américains marcher avec les manifestants ou poser leur genou à terre pour rendre hommage à George Floyd. « Ce qui m’a frappé, c’est que cet homme de presque deux mètres n’a pas résisté. Il a crié pour sa mère et supplié plusieurs fois l’agent. Les images de la vidéo sont répugnantes et dégradantes. Le genou sur le cou n’est pas une technique policière connue. »

Le profilage racial et social fait partie de ses batailles. Ce Québécois d’origine libanaise de la Côte d’Ivoire forme son équipe à aller au-delà des apparences. « Un jeune Noir de 22 ans qui conduit une voiture à 100 000 $ n’est pas forcément un délinquant. Monsieur ou madame qui sont Blancs et qui roulent en Honda peuvent très bien avoir dans leur valise 10 kilos de cocaïne. Pourtant, c’est souvent le jeune Noir qui se fait interpeller. Il faut changer ces pratiques. »

Lundi soir, après son intervention à l’émission 24/60 d’Anne-Marie Dussault, Fady Dagher a passé une bonne partie de sa soirée sur FaceTime avec les amis de ses enfants qui le remerciaient les larmes aux yeux d’avoir dit publiquement ces choses. « On a eu de fortes discussions avec mes enfants. Je suis leur père, mais je suis aussi policier. Leurs amis étaient émus de voir une personne d’autorité prendre une position claire sur le sujet, sans aucune ambigüité. »

En janvier dernier, M. Dagher a mis en place le projet Immersion lors duquel 30 policiers ont été retirés de la patrouille pendant cinq semaines pour plonger dans d’autres réalités, privés de leur arme et de leur uniforme. Le but étant d’aller à la rencontre de l’autre, de créer des ponts et d’échanger avec des personnes encore trop souvent cataloguées par leurs vulnérabilités. « Il peut y avoir un problème systémique. Il faut faire la différence entre systématique et systémique. De manière assez complexe, certains comportements et approches sont teintés de préjugés discriminatoires. Il faut absolument trouver le moyen de les enlever. Un policier est au service de la population. Il n’est pas la loi, il la représente. »

Sa proposition est de créer une police de concertation, ancrée dans la communauté, qui ne répondrait pas aux appels du 911. Cela amènerait à intervenir en amont et empêcherait les interventions musclées menant à des drames. « On est prêts à avoir cette police-là, on est même en retard. Tant et aussi longtemps qu’on vivra des solitudes de cultures, le mode d’intervention sur l’urgence entrainera des dérapages. On doit voir les policiers, on doit créer des ponts et des passerelles pour faire tomber les barrières. »

« Fatigués de répéter les mêmes histoires »

Membre du collectif Hoodstock, Stéphanie Germain est fatiguée d’expliquer les mêmes histoires pour briser le tabou du racisme systémique ; alors même que les actions concrètes se font attendre. « La charge est lourde sur les épaules », s’émeut-elle. « Un tweet, ce n’est pas assez. Avant de parler d’une autre police, il faut redonner confiance aux citoyens. Des commissions, des statistiques et des études, il y en a eu des tonnes. Arrêtons-nous un instant et faisons des actions concrètes comme investir dans les communautés et organismes qui aident à lutter contre les injustices sociales. »

Mme Germain explique la popularité de la mobilisation de dimanche par la recrudescence des traumas des personnes noires. « Avec la crise sanitaire, on réalise que le racisme ne prend pas de vacances. En plus de composer avec la pandémie, on doit encore se battre contre le racisme », déplore-t-elle en plaidant pour un véritable dialogue. « L’idée n’est pas d’accuser le Québec, on est Québécois ! Le racisme ne vise pas la personne, mais les gestes posés qui sont problématiques. Ce ne sont pas que des anecdotes, c’est notre vie. »