Cela fait plus de 120 ans que la bande dessinée québécoise existe. Et bien qu’elle puisse s’enorgueillir de la singularité de ses productions, il n’en reste pas moins qu’elle est encore loin d’être considérée à la hauteur de ce qu’elle est : le 9e art. « J’aimerais que les gens soient aussi fiers d’avoir lu la dernière bande dessinée que d’être allé voir le dernier concert de Kent Nagano », lâche Johanne Desrochers, organisatrice du Festival de la BD de Montréal (FBDM), qui fêtera virtuellement ses noces d’étain et la 22e édition des prix Bédélys du 28 au 30 mai. Tour d’horizon d’un médium autant apprécié que dénigré, dont la « case littéraire » reste à définir.

Un monde qui mérite d’être mieux connu

« Dans la tête des gens, la BD s’adresse aux enfants » perçoit encore Catherine Lepage, bédéiste à temps partiel, en lice pour les 22e prix Bédélys, lorsqu’elle parle des barrières dressées entre sa passion et les lecteurs. Une perception plutôt restreinte de ce médium qui réunit le meilleur de deux mondes : l’écriture et le dessin. Mais cela n’empêche pas plusieurs adeptes de cultiver une véritable fascination pour le 9e art, comme Johanne Desrochers, organisatrice du Festival de la BD de Montréal, qui tiendra sa 10e édition du 28 au 30 mai.

Les artistes de bandes dessinées du Québec ont un allié dans leur rang : le Festival de la BD de Montréal (FBDM). « J’aime les artistes de BD, j’aime ce qu’ils font », dit Johanne Desrochers, lorsqu’on lui demande ce qui la fascine dans le milieu du 9e art. Et bien que modeste face à d’autres grands festivals comme le Festival Québec BD ou encore son confrère français, le festival d’Angoulême, le FBDM tient le phare depuis 10 ans. Un phare pour tous les crayonneux, les maisons d’édition et le public, que la directrice aimerait voir «embrasser la BD comme un art à part entière et découvrir jusqu’où on peut aller avec ».

Pas tous de mordus !

Pas besoin d’être un mordu de BD, pour en apprécier sa finesse. Johanne Desrochers qui trempe dans le milieu depuis sept ans en est un bon exemple. Bien que son vœu soit de faire reconnaître la BD à sa juste valeur, elle n’a pas toujours été une inconditionnelle des bulles et phylactères. «J’ai lu de la BD jeunesse, j’avais les petits Mickey, je recevais Pilotes chez nous, mais après, j’ai arrêté de lire de la BD puis, je m’y suis remise avec la coordination du festival

Si la bande dessinée est encore considérée comme un art jeunesse, le FBDM dont la fréquentation a presque triplé en 10 ans, voit de plus en plus de famille et de jeunes adultes fréquenter les lieux. «Les gens lisent de plus en plus de bandes dessinées », croit la directrice du festival. Et au Québec, rien de plus simple que de trouver lecture à son goût dans ce milieu. « Ce qui est bien, c’est qu’il y a de tout dans la BD québécoise; des gens comme Jacques Lamontagne, qui vont faire des choses comme Wildwest, dont les dessins sont hallucinants, puis il y a des gens comme Mirion Malle ou Mélanie Leclerc qui vont traiter d’enjeux très personnels. On ne trouve plus juste de l’underground ou du classique. »

Drôle d’oiseau cette BDQ

Le format de BD classique n’est pas tellement l’apanage de la bande dessinée québécoise, ou BDQ comme on l’appelle : « Les maisons d’éditions d’ici sont récentes et n’ont pas vraiment d’héritage du classique cartonné 48 pages », explique Mme Desrochers. Même si, au Québec, « on a beaucoup grandi avec la BD franco-belge et américaine ». C’est d’ailleurs ce qui fait une bonne part de la saveur de la BDQ, ce mélange culturel. Et en jouant avec les codes de présentation habituels, les auteurs se sont donnés une inépuisable liberté de création tant visuelle que thématique, souvent très actuelle. « Ce qui se produit ici reflète la société ; où les gens sont engagés. Aujourd’hui, la BD peut être légère, mais aussi traiter d’enjeux sociaux », souligne la directrice. Une tendance québécoise qui ne passe pas inaperçue.

Quant à la BD underground, son importance n’est plus à démontrer. Très présentes dans les années 70 et 80, les publications photocopiées, brochées, tirées parfois à seulement quelques dizaines d’exemplaires ont participé à la survie de la BDQ ; elles ont « tenu le phare, jusqu’à ce que des maisons d’édition décident de publier », explique Mme Desrochers.

« Ce sont des bédéistes qui aimaient ce qu’ils faisaient. Ils ont maintenu la fibre de la BD au Québec, ont exploré de nouvelles manières de s’exprimer, de faire de la BD. Ça a été un socle indispensable. »