À la fin du mois, je quitte l’organisme au terme de cinq années d’un programme d’employabilité. Je suis fier de toutes les bonnes actions que j’ai pris l’habitude de poser pour les sans-abri, les travailleuses du sexe (que je surnomme les « déesses de la rue ») et toutes les personnes qui ont un rapport personnel avec la rue.

Pour moi, ces personnes vont toujours rester plus importantes que tout dans ma vie, même plus importantes que moi. Elles le sont tellement que je ne peux pas passer une journée sans les aider. C’est plus fort que moi. Ça vient d’une grande volonté que j’ai à l’intérieur de moi et qui est l’empathie. C’est tellement fort que chaque fois que je vois une personne dans le besoin, je ne peux pas continuer mon chemin sans lui avoir parlé et l’avoir aidé d’abord.

Avant j’étais comme le reste du monde : aveugle et avec un cœur de pierre. Je ne connaissais pas les itinérants. J’avais moins d’argent, alors je ne pouvais rien leur donner. Je passais devant quelqu’un qui quêtait sans regarder, sans m’arrêter.

Il suffit d’une première fois

Lorsque j’ai pris la peine de m’arrêter devant une personne qui quêtait, ça m’a glacé le sang. Je me suis mis dans sa peau pour la première fois. Elle avait des chaussures et des bas troués, son linge était magané et c’était pratiquement l’hiver. J’ai trouvé ça tellement triste que personne ne l’aide, alors j’ai pris mon courage à deux mains pour l’écouter et lui serrer la main.

Il fallait que je fasse quelque chose. Je suis allé dans un magasin et je lui ai acheté quelques affaires. Pas beaucoup, mais l’essentiel… une tuque, une paire de bas ; je savais qu’il allait avoir froid quand même, mais que ce que je lui avais acheté allait faire une différence.

Il faut être plus sensible aux demandes des itinérants et pas simplement leur donner de l’argent. Quand on prend le temps de les écouter et de leur donner des choses qui répondent à leurs besoins, ça les rend heureux. Quatre à cinq minutes minimum par personne, sinon ce n’est pas assez. Ce que j’aime, c’est quand les gens me racontent leur histoire de vie, comment ils sont devenus itinérants, comment était leur vie avant. Est-ce que c’est un choix personnel ? Est-ce que ce sont les difficultés de la vie qui les ont menés à la rue ?

La force de l’empathie

Je vous invite à regarder l’émission Face à la rue, sur la chaîne Moi et Cie. Ça parle des itinérants, des personnes prostituées, de tout le monde de la rue. C’est fait avec respect. C’est tellement émotif que je pleure à chaque fois. Ça me rappelle la vie que mon père a eue.

L’empathie, c’est quelque chose que tes parents peuvent te montrer un peu, mais c’est toi qui dois la travailler et la développer. Si tu veux avoir de l’empathie comme force, il faut savoir l’entretenir et mettre l’effort nécessaire pour y arriver.

Ça fait plus de 20 ans que je travaille mon empathie. Parce que j’ai travaillé à L’Itinéraire, ma force d’empathie est décuplée. J’ai choisi de venir travailler ici pour comprendre la vie que mon père a eue. Comment il faisait pour se nourrir l’hiver ? Comment il faisait pour survivre au froid ? Est-ce qu’il allait dans des refuges ou était-il plutôt solitaire ? Avait-il le droit d’aller dans des refuges ou était-il banni à cause de sa consommation de drogue ?

Ce sont des questions qui me tracassaient beaucoup l’esprit. En parlant aux autres camelots, ça m’aidait beaucoup. J’en ai appris sur leur vie.

Donner c’est recevoir

Chaque fois que je donne à une personne, je reçois en même temps. Ça me soulage des malheurs de ma vie, je ne pense qu’au moment présent. C’est comme si le temps s’arrêtait.

Lorsque Dieu met une personne sur votre chemin, c’est pour vous donner trois choix : tu t’arrêtes et tu l’aides, tu t’arrêtes et tu ne l’aides pas ou tu passes ton chemin. Si on n’agit pas, il sera peut-être trop tard pour cette personne. Chaque seconde compte. Il faut s’occuper des personnes plus faibles, car on peut toujours se trouver dans une position de besoins.

Je crois au karma. Quand tu fais du bien, tu reçois du bien.