« Bonjour, oui, oui vous pouvez entrer, la porte est ouverte. Elle vous sera toujours ouverte. » C’est ainsi que je me suis exprimé lors de ma première rencontre de camelots en novembre 2016, quelques jours après mon entrée en poste. Quelque 70 camelots qui te regardent, te scrutent, t’analysent et vlan ! Le camelot courageux s’exclame : « Ils disent tous ça la première fois. Ensuite vous montez au 3e dans votre tour d’ivoire puis on ne vous voit plus, vous êtes tous pareils. Tu sais, ça fait quatre ans que je suis ici et je ne sais même pas où est le bureau du DG ». Je venais d’être sensibilisé.

L’organisme avait perdu son chemin, son itinéraire. Comme nos participants, nous étions un peu poqués, notre estime de soi avait perdu un peu de lustre. Nous étions en rechute et il fallait sortir L’Itinéraire de l’itinérance. Regarnir notre coffre à outils, se refaire une santé, renouer avec nos partenaires, nos amis, nos collaborateurs, se remettre en forme. Tel un haltérophile, au bras droit, une équipe dévouée, au bras gauche, des bénévoles passionnés. On se replace. On lève la barre. On regarde devant, c’est le moment, on pousse tous ensemble dans une direction, en avant. Pas toujours facile, parfois un peu chambranlant, c’est la vie, mais à force de pousser, sous les encouragements, on arrive tranquillement à atteindre notre objectif, petit ou grand. L’important c’est de retrouver son chemin, son itinéraire. Nous avons tous le droit de recevoir cette opportunité de regarnir son coffre à outils pour continuer de profiter de ce qui est le plus précieux : vivre.

Bienvenue à L’Itinéraire. Un endroit où l’on retrouve un soutien social fort, un lieu où le camelot est au centre, au cœur même de l’organisme. C’est un milieu de vie où l’on reconnaît la participation et la contribution de tous. Où l’on valorise l’autonomie, où l’on encourage la prise de décision, où l’on donne un sens au travail, qui rend nos camelots fiers et augmente leur estime de soi parfois écorchée par des expériences de vie difficiles.

Vous allez le découvrir dans les prochaines pages : la résilience de nos camelots est à la fois inspirante, touchante et incroyablement stimulante. En passant par son écriture ou par son implication au sein du conseil d’administration, le camelot ne fait pas juste vendre sur le coin de la rue, il travaille, il s’implique, il participe à la démocratie de son avenir. Il repousse l’image de la personne marginalisée ; il s’invite, à son rythme, au marché traditionnel du travail ; il participe et contribue à la société.

Parler de L’Itinéraire, de nos différents projets et surtout de nos camelots : c’est avant tout écouter, partager, soutenir, encourager des personnes qui en arrachent un peu, beaucoup, énormément. S’il y a une chose qui ne fait aucun doute, qui n’est pas très « sexy », c’est en abordant des sujets de société comme l’itinérance, l’injustice, la précarité sociale. Nous ne sommes pas les seuls, cependant, nous offrons aux sans voix une occasion unique de s’exprimer et d’être entendus. L’Itinéraire est un modèle d’innovation sociale au Québec.

Ami-e-s lectrices, lecteurs vous avez entre vos mains une édition spéciale du magazine de rue qui a été tricotée serrée par une famille de 17 employés et qui permettra à 200 hommes et femmes de réaliser et de poursuivre leur quête.

« Monsieur Luc, j’aimerais vous partager une idée, je viens vous voir dans votre bureau. »

« Pas de trouble, la porte est ouverte. »

La justice, l’équité, le respect, la fierté, les bonnes relations, le dépassement de soi, la reconnaissance, l’autonomie, ça ne coûte pas grand-chose. Mais ça rapporte gros.

En passant, si vous lisez ce texte avant le 29 septembre 2019, vous pouvez venir admirer la porte de mon bureau qui est exposée au World Press Photo dans le local ouest de l’espace mezzanine du marché Bonsecours.

Merci vous tous, collaborateurs, amis, artisans, publicitaires, qui avez rendu possible la création de cette édition. Bonne lecture et continuez à nous soutenir pour que l’organisme poursuive avec énergie cette aventure encore longtemps.

Depuis quelques années, pas une semaine ne passe sans qu’une nouvelle nous rappelle la fragilité des médias dans le monde. Imaginez un média qui sort de la marge, comme le nôtre, unique dans son approche, dans son style, dans sa mission. Nous aussi, Facebook et Google nous affectent. Notre situation est préoccupante et urgente tout comme celle de l’ensemble des médias écrits. Notre modèle d’affaires est unique, différent. Le temps est venu d’investir collectivement un peu d’énergie et de capitaux et d’avoir l’écoute des gouvernements.