« Je tousse à tout rompre, toute la journée. Faut absolument que j’arrête de fumer. Je le sais! Et ça fait longtemps que je me le répète. J’ai trouvé ça tellement pénible la dernière fois que j’ai essayé. Mais le voilà le fameux jour: le 9 juin 2022. Sans tambour ni trompette, c’est aujourd’hui que j’arrête ! »
– Yvon Massicotte

Après neuf mois d’arrêt, Yvon Massicotte, camelot et ex-(gros) fumeur, s’entretient pour la première fois avec une infirmière clinicienne en prévention et soutien à la cessation tabagique, Marie-Josée Paquet. Ensemble, ils déboulonnent certains mythes, décortiquent les réactions du cerveau face à la nicotine et autopsient ce meurtrier, le tabac, qui nuit à la santé d’encore 12% des Québécois. C’est l’heure du bilan pour Yvon.

 

Marie-Josée Paquet est infirmière clinicienne spécialisée en abandon du tabac pour le CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal. Elle exerce depuis 13 ans auprès d’une centaine de patients avec ou sans problème de santé mentale, en suivi individuel et en animation de groupe en centre d’abandon du tabac (CAT).

 

Il est 5h et je me lève. Ce matin, malheur! Plus de cigarettes. Évidemment, tous les dépanneurs sont fermés à c’t’heure-là. C’est ce jour que je me suis décidé, pour la cinquième fois, le 9 juin dernier.

Pour me mettre un peu de pression, je l’ai dit à tout mon entourage, et à mes clients. Parce que orgueilleux et fier comme je suis, je me voyais mal abandonner, après l’avoir crié sur tous les toits.

Poursuivi par le diable ! Cette fois, pas de substitut de nicotine. J’ai décidé d’arracher le pansement d’un coup sec! Sans aide. La première journée fut… pas si pire. Mais la troisième, je vous le dis, c’est là que j’ai fait connaissance avec le diable. Il ne me lâchait pas d’une semelle, il me harcelait. Tellement, qu’après ma journée de travail, je me suis couché tout de suite en arrivant chez moi pour arrêter de penser.

Les trois premiers jours sont très difficiles à passer. C’est comme quelqu’un qui arrête de boire ses 12 bières par jour, du jour au lendemain. Le corps est en sevrage, il demande de la nicotine. L’utilisation des substituts nicotiniques permet alors d’accompagner le fumeur dans son sevrage en en diminuant les symptômes. Puis il y a de courtes actions: gomme, vaporisateur. En cas de rage, la personne va pouvoir calmer son envie avec cette courte action. Le cerveau reçoit sa nicotine, il est content. Actuellement, les timbres de nicotine combinés à un suivi en centre d’abandon du tabac (CAT) sont les meilleures méthodes d’arrêt reconnues.

– Marie-Josée Paquet

La sixième journée a été semblable à la première. Le diable venait faire son tour, puis partait quelques minutes, pour mieux revenir, évidemment.

Jour 11. Il est encore là! Mais beaucoup moins insistant. On dirait qu’il commence à comprendre. Il vient encore me visiter, mais juste quelques secondes, puis il s’en retourne, bredouille.

Je suis persuadé que cette fois, c’est la bonne. Enfin, j’espère! Parce que l’envie peut revenir n’importe quand. J’en sais quelque chose pour avoir repris pendant la pandémie après quatre années d’arrêt. Mais là, je toussais tellement… pire qu’autrefois ! Alors avant de souffrir d’emphysème, ou d’un cancer, je vais y penser à deux fois avant de rallumer une cigarette. Surtout que mon père, mes deux frères, et ma sœur sont décédés d’un cancer du poumon.

Autres temps, autres mœurs

J’avais 8 ans lorsque le locataire d’en haut de chez mes parents, un gars de 18 ans, m’a donné ma première cigarette. Quelques années plus tard, vers 12 ans, j’ai commencé à fumer près de cinq cigarettes par jour. Ma mère s’en est aperçue et m’a donné son autorisation. Elle aurait été un peu mal placée pour me l’interdire, elle qui fumait même dans la chambre de mon père hospitalisé pour son cancer.

Il faut dire que dans les années 60 beaucoup de monde fumait. On n’en savait pas autant qu’aujourd’hui sur les dangers de la cigarette. Malgré ça, à mes 18 ans, j’ai compris que fumer diminuait ma capacité physique alors que je commençais à pratiquer l’haltérophilie. J’ai donc décidé d’arrêter. Premier échec.

J’ai des clients de 75 ans même de 80 ans qui décident d’arrêter de fumer. Ils constatent rapidement être moins essoufflés. Puis quand on fume, les cils de nos poumons sont brûlés par la fumée. Mais au bout de 24 à 48h, ils commencent à repousser. Alors on tousse, pour excréter tout ce qui est collé sur les poumons.

– Marie-Josée Paquet

Vers la trentaine, j’ai décidé d’arrêter une seconde fois, un peu plus d’un an. Et encore là, une rechute provoquera un deuxième échec.

Mes 54 ans sonnent. Je tousse déjà énormément. Un bon deux minutes chaque matin. Je décide encore une fois d’essayer. Cette fois, j’utilise des timbres de nicotine. C’était un peu plus facile, mais à l’heure du dîner, j’en fumais tout de même une par jour. Chose à ne pas faire, par expérience. Après quatre mois, je retourne au point de départ. Troisième échec.

La bonne ?

À 65 ans, toujours les mêmes quintes matinales. J’arrête quatre années, jusqu’à la pandémie. Confiné trois mois de suite, je ne sais plus comment meubler mes journées. À la première bouffée, je deviens étourdi sans bon sens. C’est le buzz! Celui qui nous fait accrocher à cette drogue maudite. La première semaine avec beaucoup de retenue, je réussis à ne fumer que cinq cigarettes par jour, mais au bout d’une semaine, je retombe très vite à 25 par jour. Quatrième échec.

Le buzz, c’est la nicotine. Elle met 10 secondes à se rendre au cerveau et à satisfaire des récepteurs d’hormones de bonheur, de plaisir. Plus un fumeur fume, plus ses récepteurs de bonheur se transforment en récepteur de nicotine. La nicotine amène le cerveau à dépendre de ce produit pour produire des endorphines. C’est ce qui crée la dépendance et habitue le fumeur à fumer encore et encore pour faire durer le sentiment de bien-être artificiel occasionné par les endorphines.

– Marie-Josée Paquet

On dit que les rechutes font partie du processus. Mais cette fois, je souhaite que ce soit la bonne.