Sensibles au sort des plus exclus de notre société, les membres du groupe Kaïn, Steve Veilleux, Éric Maheu et John-Anthony Gagnon-Robinette en discutent avec L’Itinéraire. Le groupe qui fêtera son 20e anniversaire en 2020 a été particulièrement interpellé par les itinérants qu’ils ont croisés lors du tournage de leur dernier vidéoclip.

Entrevue avec Kaïn

En septembre dernier, vous avez lancé un vidéoclip réalisé par Joseph-Antoine Clavet pour la pièce Laisse-toi exister. Vous dites que c’est une « chanson baume, tricotée pour faire du bien ». Pouvez-vous préciser?

Steve V. J’ai écrit cette chanson d’un jet parce que c’est ce que j’aurais aimé me faire dire par un chum dans les moments où j’en ai bavé le plus. C’est une espèce de petite prière. Laisse-toi exister, c’est juste de laisser son ego de côté pour prendre les bonnes décisions et revenir à la base. C’est un gros trois minutes de positivité, des choses qu’on oublie tout le temps dans le dédale de la vie. Pourquoi on fait ça? On ne se pose pas assez la question. C’est juste d’être ouvert d’esprit. Comme je le dis dans cette chanson : de dire oui plus souvent qu’on dit non, d’ouvrir notre cœur, nos idées. Nous sommes les seuls acteurs de notre bien-être. C’est un message que je me suis écrit, pas dans le but de faire une chanson, mais en l’écrivant je me suis rendu compte que ça interpellait les gars du band, que ça les touchait. Finalement, on a décidé d’en faire une chanson parce qu’on s’est rendu compte que ça pouvait faire du bien. De se respecter, de se rappeler d’où on est parti. Quand on a commencé à faire de la musique, ce n’était pas pour se mettre de la pression ou pour essayer de plaire. C’était pour avoir du fun.

Éric M. La première fois que tu l’entends, t’as l’impression que c’est une toune un peu tristounette, mais c’est tout le contraire. C’est une chanson de lâcher prise, une chanson positive qui fait du bien à entendre.

Vous souhaitiez vous associer à une cause. Pourquoi l’itinérance en particulier?

Steve V. Pour le tournage du clip, on s’est promené une journée dans les rues de Montréal et ça nous a rappelé une réalité qu’on connaît tous, qu’on tient pour acquise mais qu’on n’aime pas voir. Les gens de la rue font partie de notre quotidien sans qu’on se pose de question. Ça nous a donné une couple de bonnes claques sur la yeule.

John-Anthony G.R. Il pleuvait à siaux et il faisait froid. C’était glauque. Il est quand même sorti du positif de ça.

Steve V. Personne ne chialait ou ne se plaignait. Les gens de la rue nous racontaient leurs histoires. On ne voulait pas juste écrire une chanson et aller tourner un clip avec eux. Il y avait un côté opportuniste, quelque chose qu’on n’aimait pas là-dedans. Ça nous a touchés. Il fallait aller plus loin.

Dans les paroles de votre chanson Laisse-toi exister, vous dites : « Joue pas aux victimes ni aux tough ». Qu’est-ce que vous voulez dire exactement dans cet extrait?

Steve V. De rester qui t’es, de ne pas jouer de personnage pour plaire ou faire ton tough quand la situation le demande. Souvent, on va trop en faire par besoin d’approbation. À cause de la peur, du jugement, de l’insécurité, des phobies qu’on se crée, on s’empêche de vivre, on s’empêche d’exister. De ne pas jouer de game, ce n’est pas facile, c’est un combat pour tout le monde d’être authentique et avec notre band, on prône l’authenticité et on la porte à bout de bras depuis toutes ces années.
Éric Maheu, tu as consommé des drogues et de l’alcool de façon excessive pendant 25 ans. Tu es sobre depuis trois ans. Comment es-tu parvenu à l’abstinence?

Éric M. Je pense que j’étais rendu dans un état d’urgence. J’avais des petites affaires à régler qui vont au-delà de la drogue et de l’alcool. Ça faisait trop longtemps que je me cachais derrière ça, que je noyais mes problèmes dans l’alcool. Il fallait absolument que j’aille plus loin. Le bobo n’est pas directement dans ta bouteille. Si tu vas fouiller dans ton passé, puis que tu règles une couple d’affaires, ça aide beaucoup. Au-delà de ça, il y a aussi ta famille, ta job, tes enfants. J’étais trop absent et j’avais atteint la limite. J’avais vu le fond, j’étais sur le bord de perdre beaucoup de choses. Donc, j’ai décidé de me prendre en main. Il m’arrive des belles choses depuis ce temps, juste des belles choses. J’ai rencontré une personne extraordinaire que je n’aurais jamais connue ou qui n’aurait pas aimé l’ancien Éric Maheu. Aujourd’hui, je suis reconnaissant à la vie, je suis reconnaissant de ce wake up call. Le gars à ma droite [Steve Veilleux] aura l’humilité de dire qu’il ne m’a pas aidé là-dedans, mais il est venu me chercher et a tiré la sonnette d’alarme. Je suis allé prendre un petit trois semaines de break et ç’a été bénéfique. Ça ne règle pas tout, il y a encore des petits tracas de la vie. Mais ils sont pas mal plus faciles à gérer.
Votre sixième album Welcome bonheur est sorti en 2017. Quel regard portez-vous sur le chemin parcouru depuis?

Steve V. Depuis cet album, on a fait une super tournée. On a fait de belles rencontres avec beaucoup de gens qui nous avaient perdus de vue, qui étaient allés voir ailleurs et sont revenus dans le bateau avec ces chansons. Elles rappellent les premiers pas de Kaïn : plus rock d’une part et plus sereines. Il y a eu aussi quelques changements dans le groupe, pour le mieux. Ça nous a donné l’envie de continuer. Ç’a été probablement l’une de nos plus belles tournées en 20 ans.

John-Anthony Gagnon-Robinette, tu as joint le groupe juste avant la production du sixième album. Comment le groupe est-il venu te chercher? As-tu accepté tout de suite?

John-Anthony G.R. Je revenais d’une tournée. J’avais fait, je pense, 3000 kilomètres dans une fin de semaine, et j’étais écœuré de vivre. J’avais genre quatorze projets et quand je suis arrivé, j’ai dit à ma blonde : « Il faut que je fasse quelque chose de simple. Il faut que je change de quoi dans ma vie ». Pis, je lui ai dit que j’allais faire l’épicerie.

Éric M. Moi, je suis allé en thérapie, lui a été faire l’épicerie ! (rires)

John-Anthony G.R. Je suis à l’épicerie entre la moutarde et la relish, et là, je reçois un appel : « Oui allô, c’est Éric Maheu de Kaïn. Je suis avec le chanteur de Kaïn, puis le drummer de Kaïn, pis on se demandait : veux-tu faire partie de Kaïn? » (rires) J’ai répondu oui. Mon changement est là. Mon wake up call est là. Finalement, ils m’ont auditionné. Y’avait une couple de gars en vue, mais ils m’ont dit qu’ils aimeraient que ce soit moi.

Steve V. Y’a pas eu d’autres auditions finalement. On a arrêté après John.

Qu’est-ce que John-Anthony a apporté au groupe ? Des changements dans votre style, votre sonorité?

Steve V. C’est sûr. Avec un musicien comme John, tu amènes tout son background musical, ses influences, sa jeunesse. Parce que bon, on est comme trois générations différentes. (rires) Il a beaucoup de fougue. Souvent Maheu et moi, on oublie la chance qu’on a, le confort d’avoir une équipe technique. Quand John est arrivé, on ne voyait pas nécessairement de longues suites au band.

Éric M. On était un vieux couple depuis 20 ans, puis arrive un nouveau, on a une autre perspective. John écoute les chansons et il les perçoit d’une autre manière. Je pense que tout ça a été positif. Ça fait partie des changements qui font que Kaïn est encore là aujourd’hui, sinon on ne serait pas assis là à t’en parler.