Photojournaliste documentaire installé à Montréal, Drowster a signé différents projets menés en Asie, au Moyen-Orient, au Canada, aux États-Unis et en Europe. Partout où il braque son objectif, il rapporte des images qui ne laissent personne indifférent. Ces photos révèlent des histoires et des vécus qui montrent la beauté du monde, malgré ses ombres.

Drowster est un de ses photographes qui ne laisse volontairement que très peu d’indices sur sa réelle identité. Inspiré par l’artiste de street art, Bansky, dont le véritable nom et l’identité demeurent inconnus et font toujours l’objet de spéculation, il essaye de rester dans l’ombre, derrière sa lentille, pour qu’on accorde toute notre attention à ce qu’il photographie.

Avec le livre photos Travailleurs, c’est la première fois que l’on aperçoit en couverture un bout de son visage, bien que toujours caché par une casquette. Drowster a beau être sur tous les réseaux sociaux, il ne publique les photos des personnes qu’il photographie. «J’aime cette façon de mettre de l’avant un travail plutôt que la personne qui le fait», explique-t-il. «Je veux vraiment que l’on consomme mes images, mes photos et le message qu’elles portent avant tout.»

Son travail s’inspire de photographes comme Lewis Hine, pour sa vocation sociale, James Nachtwey pour sa composition et Steve McCurry pour les couleurs. Mais il se nourrit aussi des personnes qui acceptent de se livrer à lui, le temps d’un cliché.

Témoigner d’une réalité

Il aura fallu cinq ans au jeune homme pour rapporter de ses voyages une panoplie de portraits d’hommes qui exercent, dans l’ombre des métiers souvent manuels, quoique oubliés, mais très souvent essentiels. Qu’ils soient peintres ou fabricants d’objets de bois en Inde, producteurs de lait au Canada, camionneurs en Arménie, agriculteurs au Laos ou pêcheur au Liban, ces hommes font rouler l’économie mondiale, sans même que l’on ne s’en rende compte. «C’est fascinant de réaliser que ces hommes passent autant de temps au travail pour des occupations choisies ou non, qui les rendent heureux, ou non.»

Drowster classe la plupart du temps ses projets photographiques par genre. Ce n’est pas un hasard s’il a documenté la dernière révolution au Liban en pointant sa lentille uniquement sur les femmes. Et ce n’est pas non plus un hasard s’il traite la problématique du travail uniquement en parlant des hommes. Cette façon d’explorer les enjeux sociaux lui permet de révéler leurs effets sur les corps. On voit ainsi qu’un travail peut être éprouvant en analysant un regard, une main ou les marques qu’il laisse sur la peau.

Travailleurs, c’est un périple à travers 19 pays pour regrouper 186 portraits d’hommes trouvés parfois au détour d’une ruelle, après avoir marché des kilomètres dans les recoins des villes et des campagnes. «J’ai photographié des savonniers qui savent encore manier l’huile, des cireurs de chaussures qui s’agenouillent au sol jour après jour, des vendeurs de tuyaux, de boules de naphtaline, des aiguiseurs de couteaux aux yeux menaçants […]», écrit-il en introduction. Son but était surtout d’observer les répercussions d’une actualité sociale ou politique sur ces hommes.

Drowster a été marqué par eux. Il se souvient avoir vécu de vrais moments, notamment avec les fabricants d’objets en bois en Inde, qui l’ont accepté dans leur quotidien pendant plusieurs jours. «Beaucoup de ces hommes ont été d’une hospitalité incroyable, raconte le jeune photographe. J’ai passé un avant-midi complet sur le bateau du pêcheur libanais. J’ai encore parfois du mal à croire que ces personnes m’ont donné un tel privilège, celui d’entrer dans leur quotidien, d’être le témoin de leur réalité.»

Une image, une histoire

On ne peut que se sentir interpellé par cet homme qui exerce le métier de démolisseur dans un quartier de Varanasi, la capitale spirituelle de l’Inde, et dont la photo a été choisie comme couverture du livre. «J’étais dans un des quartiers proches de la rivière Gange, l’une des sept rivières sacrées, pas loin de là, beaucoup de gens font de la crémation de corps pour accéder plus facilement à l’au-delà. Cet homme devait détruire un quartier entier, créé il y a plusieurs années pour qu’on puisse construire des complexes touristiques. Je me suis retrouvé en plein milieu du chantier de construction et ce monsieur travail-
lait avec très peu de protection…», détaille Drowster.

Chaque photo nous invite à imaginer le quotidien du labeur. Son choix de ne pas donner les prénoms des travailleurs ou de ne pas raconter dans un texte explicatif leur histoire était totalement délibéré. «Ce livre devait être énumératif et simple. Une photo sur un fond blanc, un métier et un pays. Je devais mettre tout le monde au même niveau pour qu’on se focalise non sur l’influence du métier, sur ce qu’il représente dans la société, mais bien plus sur l’état physique ou mental de la personne qui l’exerce.»