« Faire du temps » en apprenant

Craig, 30 ans est féru de mathématiques, en particulier l’algèbre et la trigonométrie. Il aime trouver la bonne formule pour résoudre un problème par des proportions. Cette passion ne date pas d’hier, mais du temps où il était mécanicien avant d’être incarcéré.

Ce n’est pas le premier séjour de Craig en prison. Il a purgé plusieurs peines par-ci et par-là. Au centre de formation de la prison de Bordeaux, comme on l’appelle communément, on ne parle pas beaucoup de ce que les détenus ont fait pour être incarcérés. Cela évite de changer le regard des enseignants et surtout, cela leur permet de les considérer avant tout comme des élèves.

Quand nous l’avons rencontré, Craig était à deux doigts de sortir. Et pendant qu’il était en dedans, il voulait continuer à étudier. Il nous a confié appréhender un peu sa sortie, avoir peur de ne pas réussir et sentir comme un goût de déjà-vu. « Il y a pas mal de choses dans ma tête et je suis quelqu’un de très indécis. Je suis papa, enfin j’ai une petite fille que je ne connais pas vraiment et qui est chez ma mère. En fait, j’ai des problèmes avec la DPJ », confie-t-il. La paternité est encore un concept assez vague pour lui qui a été incarcéré quand sa fille avait à peine quatre mois, avant d’enchaîner sur une thérapie de six mois.

Allers-retours entre les murs

La première longue sentence de Craig date de 2012. Elle a duré deux ans. Une fois dehors, il a réalisé qu’il n’avait pas de diplôme de secondaire et donc pas d’issue de secours aux délits. « J’ai pu bénéficier d’un programme d’Emploi-Québec pour retourner à l’école, je voulais finir mon secondaire », raconte-t-il.

À sa sortie en 2014, le jeune homme a tenté le tout pour le tout sans admettre que la recherche de l’excellence pourrait avoir raison de lui. Il complète son test de développement général qui lui permet d’être admis à un DEP en mécanique industrielle. C’est à ce moment-là qu’il se découvre une passion pour les calculs. Mais les choses ne se passent pas vraiment comme prévu.

Craig doit composer au quotidien avec un TDAH. Perte de mémoire, hyperactivité, impulsivité, colères, perte d’intérêts et angoisses sont quelques-uns de ses symptômes. Quand il ne prend pas de Ritalin, un médicament bien connu pour traiter le TDAH, il a l’impression de se noyer. « Sans ça, je ne parviens pas à me concentrer, à rester assis pendant longtemps pour étudier. Parfois j’ai de la misère avec les effets secondaires, mais j’en ai besoin pour réussir à me concentrer. Mais si je n’en prends pas, je suis colérique, hyperactif. L’école me permet de me calmer, de me sentir bien », détaille-t-il.

Distrait, il abandonne sa formation, commet un autre délit et écope d’une nouvelle peine de deux ans. « Je crois qu’à ma première longue peine, je n’étais juste pas prêt pour l’école. Entre les murs, on peut être facilement affecté quand on se retrouve dans une salle pendant longtemps, assis à étudier. » Capable de se remettre en question et de prendre conscience des erreurs commises, Craig explique aussi qu’il n’a reçu que très peu d’encouragements de la part de son père qui n’a jamais compris pourquoi il préférait aller à l’école plutôt que de travailler.

Une école presque ordinaire

Une sonnerie stridente retentit, « secteur E », entend-on dans le haut-parleur. C’est l’heure de la pause que chaque classe prendra à son tour afin d’éviter de se côtoyer dans les couloirs. Chantal Bouchard, coordonnatrice et agente de probation, garde un œil sur les détenus-élèves. Bien qu’elle fasse tout pour que le centre de formation soit une école comme les autres, elle sait qu’elle compose avec une autre réalité. Elle nous montre en guise d’exemple le pilier qui soutient le plafond dans une des salles de classe. « On a des problèmes architecturaux avec lesquels nous devons composer tout le temps pour assurer la sécurité des enseignants, illustre-t-elle. On place les bureaux de façon à ce que le professeur puisse voir tout le monde, un élève ne pourra donc pas se placer derrière ce pilier. »

La psychologue de formation croit fermement en la réhabilitation des « gars » qu’elle côtoie tous les jours. Passionnée, elle se permet de temps à autre « des petites folies de directrice d’école », comme le jour où elle a pu proposer des scones et du thé aux détenus du Club de lecture ou les cérémonies de méritas qui sont un moment clé pour les étudiants qui célèbrent souvent l’obtention de leur tout premier diplôme. « Des histoires de réussite, il y en a. Elles ne sont pas toujours dans les statistiques ou les taux. Le simple fait de réussir un examen, de changer de niveau, d’être présent ou de participer à la semaine d’accueil ou à d’autre cours, c’est une réussite », pense-t-elle.