J’avais 20 ans lorsque ma mère a acheté un petit terrain dans une région montagneuse de la campagne syrienne, à l’ouest du pays, près de la côte méditerranéenne, dans le village de Mashta-al-Helou.

Le terrain était situé à flanc de montagne et surplombait la vallée. Il était composé de terrasses en escaliers supportées par des murets de pierres construits par le propriétaire précédent afin de les rendre propices à l’agriculture.

Le terrain acheté par ma mère consistait en deux champs en terrasses. Il y avait un grand rocher d’un côté et un chêne au centre. Les champs des voisins tout autour étaient plantés de grenadiers et de pommiers, ainsi que de légumes comme des tomates, des oignons et du maïs.

Irrigué à l’ancienne

Après avoir préparé le terrain et construit une petite maison de deux pièces, nous avions une surface de jardinage égale à celle de la maison. Mes frères et moi étions très heureux d’avoir un jardin parce que nous en étions privés à notre résidence permanente en ville.

Avec le temps, nous avons planté des arbustes, un citronnier, un figuier, des vignes et quelques fleurs. Après plusieurs années, les arbustes avaient poussé et nous mangions les fruits, en particulier le raisin. Les vignes avaient grimpé jusqu’au toit et faisaient de l’ombre. C’était très agréable quand on s’assoyait là le matin ou le soir pour prendre un café avec les amis.

Au petit matin, j’entendais le bruit de l’eau et des pelles des villageois. Les terrains étaient irrigués à l’ancienne méthode de leurs ancêtres, soit l’irrigation gravitaire traditionnelle. Ils utilisaient un petit aqueduc qui venait d’une source d’eau en altitude et qui irriguait les terrains sans avoir besoin de pompes ou de tuyauterie.

Un usage collectif

Notre jardin était relativement petit et nous étions satisfaits de l’arrosage par un boyau de plastique branché au robinet de la maison. Mais un jour, un de nos voisins nous a dit que nous avions le droit d’utiliser l’aqueduc après s’être inscrits sur la liste des usagers du système d’irrigation. Un ami du village m’a aidé à savoir à l’avance ce qu’il fallait faire quand l’heure de l’arrosage du jardin arrivait.

Mon père était passionné d’agriculture et le travail dans le jardin lui procurait beaucoup de plaisir. Il était ravi de la nouvelle méthode d’arrosage lorsque je l’ai informé de la date. Le jour venu, le fermier qui m’a précédé m’a dit qu’il avait fini d’arroser ses terres et que je pouvais maintenant utiliser l’aqueduc pendant deux heures.

J’ai pris la houe et je me suis dirigé vers le sommet, à la source d’eau qui se trouvait à environ 20 minutes à pied. Puis j’ai enlevé mes chaussures pour descendre dans le petit aqueduc qui était à peine plus large que mes pieds.

Je marchais dans le cours d’eau et chaque fois que je voyais une ouverture latérale qui servait d’embranchement pour arroser un autre terrain, je la fermais avec des pierres, du gravier et de la boue, jusqu’à ce que l’eau atteigne un petit trou dans le rocher près de notre maison.

Jouer au fermier

Lorsque l’eau a atteint le jardin, mon père et moi avons fait de notre mieux pour contrôler la répartition de l’eau sur tous les arbres, mais le débit était très fort et mon père était en panique. Il s’est blessé à la tête sur une branche d’arbre et il est allé à la maison chercher quelque chose pour mettre sur sa blessure. Je suis resté seul dans le jardin, pressé de contrôler l’eau, tellement que j’ai cassé la houe.

Après environ une demi-heure, la terre était inondée. Je suis monté rapidement et j’ai arrêté le cours de l’eau. Ce fut une journée merveilleuse pour mon père et moi qui avions travaillé à la manière des villageois. Nous nous étions amusés à jouer aux fermiers.

Malgré les difficultés dues à notre inexpérience, nous sommes parvenus à une réalisation dont nous étions fiers, satisfaits de nous être intégrés aux villageois en partageant leur savoir-faire. Pour une fois dans notre vie, nous avons arrosé le jardin à la manière traditionnelle de nos ancêtres, comme ils le faisaient il y a des milliers d’années.